Le succès de Qu’est-ce qu’on mange pour souper? – Engagement 360° et coaching en direct

Faire le saut de Twitter à la télé, est-ce possible? Cette année, les gourmands québécois ont plébiscité Qu’est-ce qu’on mange pour souper?, une nouvelle émission de Radio-Canada. Animée par Danny St Pierre, cette émission quotidienne diffusée à la télé à 17 heures (et à compter de 17 h 30 sur le Web) depuis septembre 2013 a terminé sa première saison sur les chapeaux de roues et les préparatifs en vue de la prochaine année de diffusion vont bon train. Forte des meilleures statistiques pour une émission de la grille de « jour » de la télévision publique, la brigade de @dannystpierre et de @qqmps a remporté son pari de l’engagement, de la convergence et de la notoriété.

Réussir ce pari exigeait des ingrédients de choix : un animateur qui est un vrai chef et jouit d’une présence établie  sur les médias sociaux ainsi que dans les cercles de gourmands (foodies), une cohérence sans faille entre les équipes télévisuelles et interactives du diffuseur et une unité de développement et de production 360° aguerrie. C’était un pari d’autant plus relevé que le projet QQMPS devait se tailler une place non seulement dans le créneau très concurrentiel des émissions de cuisine, qui abondent au petit écran, mais aussi dans le « creux » des formats de quotidiennes, des rendez-vous routiniers et non événementiels, sur une chaîne généraliste.

LA GENÈSE : #LUNDICHEZDANNY

Danny St Pierre, chef propriétaire du restaurant Auguste à Sherbrooke, n’est pas un nouveau venu à la télévision. Habitué des caméos irrévérencieux à Curieux Bégin (on pense entre autres à sa célèbre poutine inversée) et coanimateur avec Vincent Gratton de la première mouture de Ma caravane au Canada, le chef commence à utiliser le mot-clic #lundichezDanny en juillet 2012.

Le concept est simple : St Pierre met une recette en ligne le vendredi sur son blogue, conviant ses abonnés à un exercice de cuisine – en direct et en temps réel sur Twitter – le lundi soir suivant. Les cuisiniers ont alors un weekend devant eux pour faire leurs emplettes et préparer la base de la recette. Les abonnés se retrouvent à 17 h 30 le lundi sur Twitter et cuisinent tous en même temps en suivant le « coaching culinaire » de St Pierre. L’expérience fait mouche et trouve tout de suite écho auprès des foodies québécois (une tribu alors très active sur Twitter).

À l’époque (pas si lointaine), les haïkus culinaires foisonnaient : recettes en 140 caractères, photos commentées sur Instagram, conseils ponctuels, applications de livres de recettes personnalisés, communautés-bouffe proposant une pléthore de tutoriels vidéo, blogues à la dizaine. Alors que les expériences de cuisine en temps réel abondent à la télé spécialisée, personne n’avait encore proposé d’expérience de cuisine en direct où le chef est présent. Personne n’avait non plus vraiment exploré au Québec le potentiel des « cours en ligne communautaire » sur une plateforme publique – et surtout gratuite – avec un chef de renommée locale. Mais était-ce réellement un cours? Pas vraiment, plutôt une histoire à raconter au fur et à mesure sur Twitter, mais en prenant soin de mobiliser les gens également sur Facebook, où les photos des étapes étaient partagées la veille.

« J’ai eu l’idée en faisant un photo-roman avec ma fille. Je prenais des photos d’elle alors qu’on s’amusait à cuisiner et je me suis dit pourquoi ne pas faire la même chose, mais avec le plus de monde possible? », raconte le chef.

Dès le départ, l’aventure que propose Danny St Pierre est taillée sur mesure pour ses abonnés québécois : ingrédients en saison, fournisseurs de proximité, photos des étapes en temps réel. Les abonnés tweetent et téléchargent leurs propres photos pour des conseils ou des corrections, échangent entre eux, comparent, se consolent et se félicitent des résultats. On se recommande des vins en accord, on partage des anecdotes, on teste des méthodes. Plus encore, St Pierre valide la forme des plats cuisinés par les abonnés, les encourage et leur donne leurs lettres de noblesse même s’ils obtiennent pas les mêmes résultats professionnels que lui. On goûte en chœur, on mange ensemble. L’expérience se poursuit jusqu’en mars 2013, moment où le projet de QQMPS est alors en préparation.

APPORTER LA TOUCHE ST PIERRE À LA TÉLÉ

L’équipe de LP8 (aujourd’hui Attraction Images) propose à Radio-Canada de poursuivre l’expérience à la télé et sur le Web. Le concept est lui aussi très simple : une émission quotidienne cette fois d’une durée de 30 minutes animée par Danny St Pierre et – en temps réel et donc synchronisé – par un « coach culinaire » numérique sur le Web et sous forme d’application. Le projet est piloté par à la fois les équipes télé et les équipes des projets convergents. C’est donc un projet à quatre mains, piloté par Marie-Christine Pouliot, productrice télé de la saison 1 et Micho Marquis-Rose, producteur numérique, qui n’est ni télé, ni « numérique », mais bien un tout, dès le départ. Le projet doit d’abord prolonger l’expérience des fans des #lundichezdanny et le plaisir de la cuisine en direct, puis gagner de nouveaux adeptes.

Qu’est-ce qu’on mange pour souper? propose donc tous les soirs de la semaine la confection d’un repas facile et savoureux avec, en cuisine, Danny St Pierre accompagné d’un « coach culinaire » devant avoir la touche du chef et être sa feuille de route en quelque sorte. L’émission, traditionnelle et extrêmement simple dans sa forme, est préenregistrée, mais tournée d’un seul trait (live to tape), pauses commerciales incluses. St Pierre cuisine en duo avec un invité recruté dans le public, qui reproduit les gestes et les étapes du chef en temps réel : chacun a son couteau, sa casserole et ses ingrédients. Le chef conseille son invité, le complimente et s’en inspire, tout en proposant aux téléspectateurs des trucs, des suggestions et des réponses en temps réel.

Sur le Web et sur tablette, le « coach culinaire » numérique et synchronisé accompagne l’émission, divisée en étapes dont la durée de chacune est calculée à rebours. Chaque commentaire accompagnant l’étape est en quelque sorte un gazouillis, un mini message permettant de suivre le déroulement en lecture du coin de l’œil tout en gardant les mains sur les couteaux et l’attention sur les éléments allumés.

Immédiatement après cette première télédiffusion à 17 heures, l’émission est reprise à 17 h 30 sur Radio-Canada.ca, incrustée dans le tableau de bord du coach culinaire et accessible sur tablette à l’aide de l’application dédiée. Afin de respecter l’ambiance et la continuité pendant les webdiffusions, les pauses commerciales traditionnelles sont gommées pour faire place au temps réel des « pauses coulisses », où le temps continue à s’écouler et où les caméras captent l’animateur, l’invité et l’équipe technique pendant la préparation et la cuisson du repas. On y trouve plusieurs conseils et trucs supplémentaires. Pour en faire un vrai « 5 à 7 », une brigade mise en place par l’équipe de production accompagne les abonnés en agrégeant les commentaires, photos et questions partagés sur les réseaux sociaux.

À l’instar de la plupart des applications de ce genre, tous les outils traditionnels de planification culinaire y sont regroupés : le chronomètre, les calculettes de conversion de mesures et les compilateurs de portions. En créant un profil personnalisé, les abonnés peuvent compiler leurs créations favorites dans leur propre livre de recettes, télécharger des listes d’ingrédients à l’avance pour planifier leur liste d’emplettes et recevoir des alertes par courriel et par messagerie texte pour les préparations devant être faites à l’avance, comme les marinades. On peut compléter les listes d’emplettes par ses achats personnels, trier les emplettes par catégories (fruits, condiments, alcools, etc.), partager ses listes d’emplettes avec ses « chefs adjoints » et substituer des ingrédients s’il y a risque d’allergie.

UN PREMIER BILAN COMPILÉ PAR IPSOS

Le volet numérique du projet QQMPS a été réalisé par Turbulent et financé par le Fonds Bell et le Fonds Québécor. Fort d’un prix Boomerang du Meilleur site ou application compagnon pour 2013, Danny Souper(l’application de QQMPS) a changé la donne en matière de quotidiennes de service à Radio-Canada. L’automne dernier, le diffuseur public a mandaté la firme Ipsos Marketing de procéder à une évaluation formelle des habitudes d’écoute de l’émission, de la notoriété et l’utilisation du coach culinaire ainsi que de l’appréciation générale de l’émission et de son interactivité.

Les premières conclusions de l’enquête sont sans équivoque :

  • Le coach culinaire « augmente manifestement » l’engagement envers l’émission;
  • La fréquence d’écoute de QQMPS est plus élevée parmi les téléspectateurs qui se sont inscrits au coach culinaire;
  • Les téléspectateurs inscrits sont plus portés à réaliser les recettes;
  • Les téléspectateurs inscrits se montrent plus favorables en général à l’égard des différentes facettes de l’émission.

Ces affirmations semblent corrélées et les chiffres sont éloquents :


Suzanne Lortie
Détentrice d’un diplôme en production de l’École nationale de théâtre du Canada et d’un MBA de HEC Montréal, Suzanne Lortie est professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis juillet 2012. Directrice de production et productrice déléguée en télévision depuis 1992 (grandes séries variétés et culture primées aux galas des prix Gémeaux et par l’ADISQ, documentaires), elle est consultante en stratégies nouveaux médias.
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