Les défis de Nintendo à l’ère des téléphones intelligents
DILUER LA VALEUR DE SA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Dans l’ensemble, Nintendo adopte une attitude très conservatrice dans l’utilisation de sa propriété intellectuelle – soit tout le contraire de l’exploitation intensive d’une franchise. Toutefois, son conservatisme va-t-il trop loin?
Bien que l’entreprise propose maintenant davantage de titres rattachés à ses « séries de base » concernant des jeux indépendants comme Mario et Zelda (contrairement à des jeux comme Mario Party), à l’exception d’un très petit nombre de propriétés (comme Metroid), elle n’a jamais vraiment tiré parti de son catalogue antérieur et de la nostalgie des joueurs à l’égard de la période glorieuse des années 1980 et du début des années 1990. Malheureusement pour Nintendo, il pourrait maintenant être trop tard pour explorer cette voie.
Quand les consoles représentaient pour bien des gens les seuls jeux auxquels ils avaient accès (étant donné le coût élevé des PC à l’époque), cette approche conservatrice n’avait rien d’insensé. Cependant, la distribution s’est numérisée, les plateformes se sont multipliées et des outils gratuits s’offrent aux développeurs; les jeux sont partout et sont considérés plus que jamais comme de banals objets de consommation.
Dans une industrie où les produits sont standardisés, la concurrence se joue sur les prix. La marque Nintendo constitue une arme que l’entreprise n’a pas suffisamment mise à profit pour intéresser les joueurs à ses appareils. En faisant preuve d’un tel conservatisme, elle laisse aux autres studios la voie libre pour cloner ses jeux à succès. Ces clones offrent une expérience si semblable à celle de Nintendo que les joueurs se contentent de leurs consoles ou de leurs téléphones intelligents actuels.
En définitive, Nintendo s’est engagée dans une espèce de zone neutre : d’un côté, l’entreprise ne tire pas pleinement parti de ses forces et de son catalogue antérieur pour établir une véritable stratégie de différenciation; de l’autre, elle ne se lance pas non plus dans la course aux nouveaux produits.
LES APPAREILS
Les consoles de jeu ont vu l’intégration de technologies diverses et l’enrichissement de leurs séries de caractéristiques, passant du statut de jouets à la fin des années 1980 et au début des années 1990 à celui de systèmes de divertissement complets offrant des technologies grand public à la fine pointe.
À la longue, les entreprises plus expérimentées et mieux outillées dans le secteur plus vaste des technologies grand public (par exemple, celui des tablettes, des téléphones intelligents et des ordinateurs) prendront peu à peu le dessus sur Nintendo sur le plan de la qualité des appareils, des prix et de la rapidité de la chaîne logistique. Nintendo peut-il concurrencer des entreprises comme Sony, Microsoft et Apple (sans parler de la foule d’autres concurrents potentiels, comme Amazon et Samsung, qui pourrait mener une offensive contre Nintendo avec leurs micro-consoles)?
Le plus récent communiqué sur les résultats de Nintendo faisait état de possibilités de type « océan bleu » pour les logiciels et les produits liés à la santé. En plus de sonner l’alarme quant aux préoccupations de l’entreprise, on soulève de nouveau la question de la qualité des appareils, des coûts et de la rapidité de la chaîne logistique. Nintendo peut-il produire des appareils équipés de capteurs suffisamment granulaires pour créer des expériences vraiment riches à un coût acceptable?
ADAPTER LA CULTURE
Si Nintendo décidait de se mettre à produire des jeux pour d’autres plateformes, un tel changement de culture susciterait certaines interrogations. L’entreprise peut-elle travailler sur d’autres plateformes si elle n’a pas voix au chapitre quant à leur conception? Le fait de ne pas avoir son mot à dire dans la conception des appareils permettant d’utiliser ses jeux représenterait un changement radical pour Nintendo.
Si l’entreprise allait vers les appareils mobiles, compte tenu de son souci extrême en matière de qualité, de perfection et de nouvelle expérience de jeu, on pourrait se demander comment elle s’adapterait à l’univers en rapide évolution des technologies mobiles, qui est caractérisé par des calendriers de conception resserrés (par rapport aux jeux AAA) et par une approche du « jeu en tant que service ».
LES OCCASIONS
Compte tenu de ces difficultés, quelles sont les possibilités qui s’offrent à Nintendo?
D’abord, l’entreprise devrait attendre avec fébrilité la version améliorée de l’Apple TV dont on parle depuis longtemps, qui sera axée sur le jeu et munie d’une véritable manette.
Pourquoi? Elle impliquera sans doute un nombre considérable d’installations (surtout si elle comprend un décodeur), un niveau de prix bien en deçà de celui de la génération actuelle de consoles et un système de paiement éprouvé où les renseignements sur les utilisateurs sont inscrits le plus souvent dès le premier jour. L’attrait exercé par sa propriété intellectuelle, combiné au fait de pouvoir jouer sur une télé intégrant son propre contrôleur, permettrait à Nintendo de maintenir le prix élevé de ses titres par rapport à ses concurrents qui offrent des jeux gratuits ou à moins de 5 $.
Ainsi, l’entreprise arriverait peut-être à joindre de nouveau les adultes qui ont grandi avec les premières consoles Nintendo et Super Nintendo, mais qui n’achètent plus de consoles de jeu spécialisées.
En outre, Nintendo devrait considérer les possibilités qu’offrent les jouets « branchés » (au moyen de la communication en champ proche, aussi appelée NFC), la réalité augmentée et les appareils mobiles. Par exemple, il serait tout naturel d’appliquer à Pokémon le concept des personnages de Skylanders ou d’offrir des ensembles de jeu interactifs Mario Bros. qui relieraient les tablettes grâce à une application complémentaire. Avec un concept novateur et une application géniale, il serait même possible de raviver l’intérêt des consommateurs et des développeurs à l’égard du moribond GamePad de la Wii U.
CONCLUSION
Tant qu’il y a aura un marché pour les consoles spécialisées, Nintendo est appelé à survivre : sa propriété intellectuelle très prisée, son souci exceptionnel de qualité et son histoire de fabricant de jeux remontant à des décennies lui donnent une perspective unique sur le monde des appareils. Toutefois, compte tenu de la popularité croissante des téléphones intelligents et des tablettes en tant que plateformes de jeu, la question qui se pose n’est plus « Nintendo peut-il fabriquer ce que les consommateurs veulent? », mais bien « Les consommateurs veulent-ils que Nintendo fabrique quoi que ce soit? »
En tant qu’industrie et que spécialité, le secteur du jeu manquera de dynamisme si Nintendo perd de sa vigueur. L’entreprise a déjà connu des ennuis par le passé, mais elle a su rebondir avec les consoles novatrices Wii et DS. Il sera intéressant de voir si l’entreprise aura encore le courage de prendre des initiatives aussi – voire plus – audacieuses pour assurer sa survie.