North of North : une comédie dramatique inuite et précurseuse
Lancée le 7 janvier 2025 sur CBC, CBC Gem et APTN avant d’apparaître sur la plateforme APTN lumi le 8 janvier, North of North est l’une des productions les plus distinctives de l’histoire de la télévision canadienne : elle est présentée sur trois plateformes de diffusion en continu (CBC Gem, APTN lumi et Netflix) et sur deux chaînes de télé (CBC et APTN). Créée par Alethea Arnaquq-Baril et Stacey Aglok MacDonald (Throat Song, The Grizzlies, Slash/Back), par l’entremise de leur maison de production Red Marrow Media, la première saison de la série met en vedette Siaja (Anna Lambe, qu’on a pu voir dans The Grizzlies, Trickster, True Detective: Night Country), qui tente de gagner son indépendance tandis qu’elle vit de grands bouleversements et que son mariage bat de l’aile. Les créatrices ont mis l’accent sur des sujets rarement présentés à la télé canadienne et ont choisi la comédie dramatique comme véhicule pour mettre à l’écran le quotidien des Inuit.
Leçons apprises en coulisse
Question logistique, Alethea Arnaquq-Baril raconte qu’il a fallu s’ajuster sur le plateau de North of North : « Nous avons beaucoup appris durant la première saison. Nous nous sommes rendu compte que des fournisseurs avec qui nous avions fait affaire dans le passé pour de plus petites productions ne pouvaient pas nous aider. Par exemple, il y a d’excellents traiteurs en ville, mais aucun ne pouvait desservir une production de cette taille… Nous avons fini par faire appel au comptoir de shawarma local pour nourrir une centaine de personnes chaque jour. Nous avons aussi dû maîtriser le processus à suivre pour fermer les rues avant de tourner, chose que nous n’avions pas eu à faire tellement souvent auparavant. » La productrice exécutive Miranda de Pencier, de Northwood Entertainment, qui produit la série avec Alethea Arnaquq-Baril et Stacey Aglok MacDonald, ajoute : « Nous avons aussi appris combien ça coûtait de faire livrer une toilette chimique en Arctique… avant de découvrir qu’on ne pouvait s’en servir sur place, parce que tout gelait. Alors, nous avons dû transporter les gens pour qu’ils puissent utiliser des toilettes convenables, ce qui a eu pour effet de réduire les heures de tournage. »

« Nous espérons que la série a eu une incidence positive sur notre communauté, lance Mme Arnaquq-Baril. Il y avait beaucoup d’effervescence en ville après le tournage. Je voyais des publications en ligne et je recevais des textos de gens qui me disaient : ‘’Vous nous manquez.’’ Stacey et moi sommes toujours en ville, mais la population d’Iqaluit s'ennuie de l’énergie de l’équipe de tournage. Beaucoup de gens ont participé à la série, que ce soit en tant que figurants et figurantes ou acteurs et actrices, ou encore en fournissant des lieux de tournage ou des services à la production. » Miranda de Pencier précise : « Nous avons pris soin de communiquer avec les membres de la communauté, tant avec le maire et les députés qu’avec toutes les personnes avec lesquelles nous interagissions au quotidien. »
Trois univers, une série, beaucoup de notes
« APTN avait entendu parler de la série, raconte Mme de Pencier en revenant sur l’engagement pris par la chaîne autochtone après que CBC a initialement donné le feu vert à North of North. Les gens du réseau avaient lu plusieurs scénarios que CBC élaborait, et ils avaient beaucoup aimé celui de North of North. Alors, ils ont décidé de se lancer. C’est à ce moment que nous avons senti que nous devions trouver un plus gros partenaire de diffusion afin d’avoir le budget nécessaire pour tourner en Arctique. Nous nous sommes adressés aux plateformes de diffusion en continu et à nombre de partenaires internationaux potentiels, nous avons proposé le projet à tout le monde, et finalement Netflix a répondu présent. » Cet accord unique a été ponctué de quelques défis logistiques concernant la manière dont les deux diffuseurs canadiens et le diffuseur international fonctionneraient pour ne pas se marcher mutuellement sur les pieds quant à la diffusion de la série. « Il y a eu beaucoup de conversations entre les réseaux pour déterminer les délais de diffusion, les informations à partager ainsi que la manière exacte et le moment de les partager, explique Mme de Pencier, mais au bout du compte, ils travaillent tous ensemble. La série sera lancée ultérieurement sur Netflix. »
Alethea Arnaquq-Baril explique comment l’équipe parvient à composer avec les trois diffuseurs (et, naturellement, avec les multiples notes de production). « Nous devons produire un flux de travail très détaillé. Cela exige beaucoup d’organisation de la part des scénaristes, mais également tout au long de la production et de la post-production. Notre superviseuse de post-production [Sandra Gillen] est une super étoile! Nous nous assurons de revoir toutes les notes des diffuseurs et de verbaliser clairement notre plan d’action concernant les notes pour nous assurer que nous répondons à chaque question de chacun des réseaux. Et, s’il y a un conflit, nous communiquons avec les trois chaînes pour leur faire savoir que l’un pense ceci et que l’autre pense cela, et leur faire connaître notre point de vue. C’est un exercice réellement collaboratif. » Mme Arnaquq-Baril est reconnaissante envers le Fonds des médias du Canada, le Bureau de l’écran autochtone et la Nunavut Film Development Corporation. « Ces organismes ont joué un rôle essentiel dans le soutien de la série et de nombreuses carrières. »
« Nous ne serions pas là où nous sommes aujourd’hui et nous ne pourrions pas produire cette émission sans le FMC, qui nous a soutenus au fil de nombreux projets pour nous préparer à réaliser une série de cette envergure. »
Alethea Arnaquq-Baril
Amener le Nunavut sur la scène internationale
« Nous avons passé la majeure partie de notre vie au Nunavut, raconte Stacey Aglok MacDonald en revenant sur la transposition de North of North du concept à l’écran. Alors nous finissons souvent par écrire des scènes que des gens d’un des réseaux, Miranda ou encore l’un des scénaristes du sud avec qui nous travaillons ne comprennent pas. Ils nous demandent : ”qu’est-ce que cela signifie“ ou ”quel est le contexte ici“, et nous répondons : ”ah, vous ne faites pas cela? Ce n’est pas un truc que font les gens du sud ?’’ Au fil des épisodes, nous nous sommes dit : ‘’S’ils se sont rendus jusqu’à cet épisode, ils devraient être en mesure de comprendre ça...’’ On avait vraiment l’impression d’amener les gens dans notre communauté. »

En parlant de l’attrait de North of North pour le public inuit et pour le marché mondial potentiel, Stacey Aglok MacDonald note ceci : « Nous avons organisé une projection privée [le 11 décembre 2024] pour nos deux premiers épisodes. Il nous est arrivé de devoir expliquer certaines blagues qui échappaient au public, mais nous nous sommes dit : ‘’les Autochtones vont la comprendre, celle-ci est pour les Autochtones ‘’... Nous nous sommes dit que certaines blagues ne seraient comprises que par un certain auditoire et que ça nous allait. Nous avons vraiment essayé de trouver cet équilibre. » Et Mme Arnaquq-Baril ajoute : « Nous avons des expériences communes et il n’était pas question pour nous d’édulcorer notre contenu pour le rendre générique. Nous avions l’impression que plus nous étions précis quant à nos expériences de vie, plus les gens de toutes les communautés pourraient se reconnaître dans nos histoires ».
L’art de construire une histoire
L’histoire de North of North se concentre sur la vie du personnage principal, Siaja, et l’intrigue est un élément majeur de la comédie dramatique, ce que l’équipe de la série a soigneusement pris en compte, selon Mme Arnaquq-Baril. « Nous voulions que les gens puissent tomber sur n’importe quel épisode et le trouver divertissant... mais nous voulions aussi qu’il y ait un arc narratif du début à la fin de la saison et même potentiellement sur plusieurs saisons. Nous espérons avoir réussi. »
À quoi est-ce qu’un public inuit ou non-inuit peut s’attendre de North of North ? Selon Anna Lambe, interprète principale de la série, « l’auditoire Inuit [...] se sentira très bien représenté et réellement vu, et il sera enthousiasmé que sa communauté soit dépeinte comme jamais auparavant, avec des couches et une complexité que nous ne voyons pas souvent, en particulier dans une comédie. Quant au public allochtone... l’histoire est très spécifique et elle se déroule dans un lieu très spécifique, mais les thèmes sont universels. Même si vous ne venez pas d’une petite communauté, même si vous n’êtes pas autochtone, vous découvrirez des personnages attachants et auxquels vous pourrez vous identifier. »