Oculus Rift, ou l’énorme potentiel de la réalité virtuelle
Il y a deux ans à peine, Palmer Luckey, un jeune californien de 19 ans, mettait au point dans son garage le premier prototype de ce qui deviendra l’Oculus Rift, un casque de réalité virtuelle qui propose, pour la première fois, une expérience immersive digne de ce nom. La semaine dernière, Palmer Luckey est devenu milliardaire après avoir vendu à Facebook pour la rondelette somme de 2 milliards de dollars[1] son entreprise, Oculus VR.
L’histoire du casque Oculus Rift s’inscrit dans la mystique américaine de la Silicon Valley, celle du jeune Américain qui bricole dans son garage et réinvente le monde. Comment ne pas penser ici à William Hewlett et David Packard (dont le garage est devenu un musée) ou encore à Steve Jobs et Steve Wozniak, cofondateurs d’Apple?
L’idée de génie de Palmer Luckey est d’avoir placé deux écrans ACL dans un casque de ski et d’y avoir ajouté deux lentilles pour créer une image stéréoscopique. Il a ensuite ajouté des détecteurs de mouvement pour reproduire une sensation d’immersion optimale en coordonnant les gestes de la tête à ceux reproduits dans la simulation.
Après avoir soumis son invention aux essais de quelques développeurs, Luckey a fondé Oculus VR et lancé une campagne sur le site de financement participatif Kickstarter en août 2012. En échange de 300 $, les développeurs pouvaient mettre la main sur la première trousse de développement (Dev Kit). L’objectif de 200 000 $ a été atteint en moins de quatre heures, et la campagne a permis de recueillir un total de 2,5 millions de dollars. Les critiques – tant celles des joueurs que des développeurs – ont été unanimes quant à la qualité du produit.
Parmi ces développeurs figurent Paul Raphael et Félix Lajeunesse, deux Montréalais à l’origine de la boîte de production Félix et Paul se spécialisant dans la création de contenus 3D pour des clients comme Moment Factory et le Cirque du Soleil.
Nous les avons rencontrés début mars au festival South By Southwest (SXSW) à Austin (Texas). Ils y présentaient une expérience 3D développée expressément pour le casque Oculus Rift.
L’EXPÉRIENCE PATRICK WATSON VOLE LA VEDETTE À SXSW
Sur place, Paul et Félix ont présenté le projet sur lequel ils travaillaient depuis huit mois : une captation vidéo 3D de très grande qualité réalisée dans le studio d’enregistrement du chanteur Patrick Watson à Montréal. Les deux Montréalais ont travaillé à la fois sur le contenu et sur la technologie de captation. Breveté sous le nom de Lucia, la technologie se décline en un logiciel et un dispositif de caméras. En collaboration avec le Studio Apollo, Paul et Félix ont également développé une technologie de captation du son tout aussi avant-gardiste, l’« enregistrement binaural ». Cette méthode de captation cherche à reproduire la façon naturelle dont l’humain perçoit les sons.
L’expérience mettant en scène Patrick Watson est spectaculaire. Pendant huit minutes, on plonge véritablement dans un monde parallèle et on se sent physiquement aux côtés de l’artiste. Lorsque son contenu est d’aussi grande qualité, le casque Oculus Rift réussit à bousculer fondamentalement nos perceptions. En simulant la vue et l’ouïe, il arrive à tromper notre cerveau et à lui faire réellement croire qu’il est ailleurs.
Le système est réactif et chaque mouvement de tête est reproduit dans le monde immersif. C’est tellement bien fait que l’on cherche instinctivement ses mains et ses pieds dans la réalité virtuelle. Félix nous avait pourtant prévenus avant d’enfiler le casque; force est de constater qu’il y a un « avant » et un « après » l’expérience Oculus.
Ce projet que Félix et Paul ont développé en parallèle est très vite devenu prioritaire dans l’esprit des deux Québécois. « On explorait le cinéma 3D depuis des années, explique Paul. On sentait les limites du cadre de l’écran. Quand on a vu cet appareil sur Kickstarter, on l’a commandé. La minute qu’on l’a reçu, et même si le contenu n’était pas encore spectaculaire, on en a tout de tout de suite senti le potentiel. »
À Austin, la courte incursion dans l’univers de Patrick Watson a suscité l’intérêt de l’équipe de développement d’Oculus VR, qui a invité les deux développeurs à présenter leur création dans le pavillon officiel d’Oculus.
« Ce qui est unique avec Lucia, explique Félix, c’est qu’elle permet de tourner du réel, en sons et images, en 3D stéréoscopique à 360° et que nous sommes pour le moment les seuls à bien le faire. » Touche-à-tout et bidouilleurs, Paul et Félix ont acquis au fil du temps une certaine connaissance de la stéréoscopie 3D qu’ils ont pu extrapoler vers la réalité virtuelle. À force de beaucoup d’essais et d’erreurs, ils sont parvenus à une solution qui fonctionne.
LA RÉALITÉ VIRTUELLE DONNE-T-ELLE LA NAUSÉE?
Pour le moment, le principal défaut de l’Oculus est la définition des écrans dans le casque. La résolution 720p rend encore visibles les pixels, ce qui nuit à l’immersion. À la mi-mars, Oculus VR a annoncé la sortie prochaine d’une deuxième trousse de développeur, comprenant un écran OLED de résolution 1080p. Oculus a promis d’augmenter la résolution chaque année; on promet donc une résolution 4K l’an prochain et 6K dès 2016.
La nouvelle trousse de développeur devrait aussi réduire les temps de latence entre les mouvements de la tête et la retranscription en réalité virtuelle. Cette optimisation est rendue possible grâce à l’inclusion d’une petite caméra qui repère le masque dans l’espace. Les développeurs assurent que cela devrait réduire les nausées que peut provoquer l’appareil chez certaines personnes. Le cerveau ne comprend pas pourquoi il a l’impression de bouger alors que son propriétaire reste immobile. Nate Mitchell, le vice-président responsable des produits et des productions pour Oculus VR, était d’ailleurs lui-même sujet à de telles nausées et assure aujourd’hui que le problème est résolu.
Quant au potentiel de développement du casque Oculus Rift, il paraît évident maintenant qu’il sera bientôt le premier casque de réalité virtuelle à la portée de toutes les bourses. La version finale et commercialisée du casque est attendue en fin d’année et devrait se vendre à un prix de 350 dollars américains. Reste à voir si l’acquisition d’Oculus VR par Facebook aura une incidence sur le prix de vente au détail promis, mais aucune annonce n’a été faite en ce sens jusqu’à maintenant.
UN AVENIR TRÈS PROMETTEUR POUR LA RÉALITÉ VIRTUELLE
Le casque Oculus restera-t-il confiné au monde du jeu vidéo ou touchera-t-il d’autres médias? Pour Félix Lajeunesse, la réalité virtuelle est un nouveau médium à part entière; on peut déjà prévoir que des jeux vidéo variés seront produits au cours des prochains mois, mais aussi que des expériences vidéo de toutes les natures créées expressément pour le casque Oculus verront le jour d’ici peu.
La réalité virtuelle a le vent dans les voiles, et Oculus VR n’est pas seul à s’y intéresser. La semaine dernière, dans le cadre du Game Developers Conference à San Francisco, le président des studios Sony et de la recherche Shuhei Yoshida a dévoilé le projet Morpheus, qui se présente aussi sous la forme d’un casque destiné à compléter l’offre de la console de jeux PS4.
Commentant l’acquisition d’Oculus par Facebook, Mark Zuckerberg déclarait : « We want to start focusing on building the next major computing platform that will come after mobile. » (« Nous voulons commencer à bâtir la prochaine grande plateforme informatique à succéder aux plateformes mobiles. ») Zuckerberg vient de gager 2 milliards de dollars que la réalité virtuelle sera cette prochaine plateforme.
[1] Au moment de publier ce billet, la transaction n’avait toujours pas été officiellement effectuée.