Rapport: comment YouTube contribue à l’écosystème médiatique du Canada

Par Irene S. Berkowitz et Hanako Smith

En pleine pandémie, nous sommes tous plus que jamais dépendants de nos écrans. À l’échelle mondiale, le nombre moyen de vidéos #avecmoi (#withme) visionnées quotidiennement sur YouTube a bondi de 600% depuis le 15 mars. Les téléchargements de vidéos avec la mention «at home» (à domicile) dans le titre ont, pour leur part, augmenté de plus de 590%. Dans cet article, nous passons en revue une importante recherche menée sur YouTube au Canada avant la pandémie de COVID-19. Toutefois, ses conclusions sont peut-être davantage importantes dans le contexte que l’on connaît, car les Canadiens utilisent davantage leurs écrans pour communiquer, socialiser et apprendre.

L’étude menée en 2019 et intitulée Watchtime Canada: How YouTube Connects Creators and Consumers présente des données originales et approfondies sur le rôle de YouTube au sein de l’écosystème médiatique canadien. Cet effort de recherche de 18 mois est à l’origine d’un rapport de 130 pages contenant 50 tableaux de données et 25 images pleine page. Il a été mené par l’Audience Lab de la faculté de communication et de design (FCAD) de l’Université Ryerson. Le rapport a été corédigé par la docteure Irene S. Berkowitz, le docteur Charles F. Davis et la candidate au doctorat Hanako Smith. Commandée par Google, la publication s’appuie uniquement sur de la recherche originale et sur des renseignements publics, sans aucune donnée exclusive. La recherche a été ancrée par deux enquêtes: l’une auprès de 1 200 YouTubeurs; l’autre, auprès de 1 500 usagers de la plateforme. 9 000 commentaires qualitatifs ont également été récoltés. 

L’étude révèle que le rôle de YouTube est unique dans l’écosystème médiatique canadien, et ce tant pour les créateurs que pour ses usagers. Bien qu’il coûte plus de 6 milliards $US par année pour maintenir YouTube, la plateforme est accessible gratuitement et n’entraîne aucun coût technologique ou administratif pour l’écosystème médiatique canadien. Plus de trois Canadiens sur quatre l’utilisent. Ceux-ci l’apprécient pour sa gratuité, sa disponibilité, ses contenus apparemment illimités et une fonctionnalité de recherche simple. 

Voici les dix principaux avantages que YouTube apporte à l’écosystème médiatique du Canada. Le thème général qui transcende ces avantages fait écho à l’observation incontournable reflétée dans le titre de l’étude: comment YouTube tisse des liens étroits entre les créateurs et ses usagers, l’accessibilité structurelle de la plateforme permettant d’apporter ces valeurs uniques à l’écosystème médiatique canadien.

L’apprentissage, la clé pour les créateurs et les usagers

Le constat le plus inattendu, illustré ci-dessous, est que 70% des utilisateurs canadiens de YouTube déclarent que la plateforme est la première qu’ils consultent pour apprendre quelque chose. Cet usage colle aux objectifs des créateurs, qui déclarent aussi que l’un de leurs objectifs est d’inspirer et d’éduquer, tout juste après les priorités naturelles que sont la constitution d’un public et la génération de revenus. Les créateurs présents sur YouTube reçoivent une rétroaction instantanée de la part du public et adaptent leur contenu en fonction de la grande quantité de données sur laquelle ils mettent la main gratuitement. Des informations sur les goûts, les commentaires et le cache des données des utilisateurs dans le Studio YouTube gratuit sont accessible à chaque créateur.

Une nuance à apporter en ce qui concerne l’apprentissage souligne la valeur du lien étroit entre les créateurs et les utilisateurs. Les données montrent qu’à mesure que leurs publics augmentent, les créateurs (quel que soit le genre dans lequel ils commencent) adaptent davantage leur contenu pour le rendre à la fois utile et inspirant pour le public.

Source: Watchtime Canada: How YouTube Connects Creators and Consumers
Source: Watchtime Canada: How YouTube Connects Creators and Consumers

À la lumière d’un réexamen de cette étude aujourd’hui, la récente annonce par YouTube d’une collaboration avec l’Agence de santé publique du Canada visant à informer les jeunes sur la pandémie valide les constats relatifs à l’apprentissage. L’initiative inclut de nombreux créateurs canadiens populaires, dont Nailogical, The Sorry Girls et Peter McKinnon ― tous présentés dans le rapport Watchtime Canada.

L’utilisation de YouTube comme plateforme d’apprentissage à l’échelle mondiale connaît une forte hausse depuis le début de la pandémie. Selon Google, au cours de la première semaine de mai, les recherches de cours en ligne sur YouTube ont augmenté de plus de 70% et les recherches pour savoir «comment faire» (par exemple, du pain aux bananes, un masque, etc.) ont augmenté de plus de 20% par rapport à la semaine précédente, ce qui tend à confirmer que YouTube est, comme elle le prétend, «la plus grande salle de classe de la planète».

Réponses au sondage sur le thème de l’apprentissage

«Je trouve des gens de tous âges qui m’expliquent des sujets que je dois connaître et je ne trouve ces renseignements nulle part ailleurs.»
- Un utilisateur canadien de YouTube, sur la «la diversité qu’offre YouTube et qui ne se trouve sur aucune autre plateforme.»

«YouTube nous donne accès à une pléthore d’information historique, éducative et générale.»
- Un utilisateur canadien de YouTube, sur ce qu’il aime le plus à propos de YouTube.

«Je cherche généralement à apprendre quelque chose, peu importe qui l’enseigne si cela m’aide à résoudre un problème.»
- Un utilisateur canadien de YouTube, sur pourquoi il ne recherche pas activement du contenu canadien sur YouTube.

«La plateforme YouTube me permet de regarder des vlogues sur les voyages et les mets de différents pays. Il me permet également de m’informer sur la diversité, que ce soit en matière d’orientation sexuelle, de culture, d’ethnies, etc.»
- Un utilisateur canadien de YouTube, sur «la diversité qu’offre YouTube et qui ne se trouve sur aucune autre plateforme.»

Emplois

YouTube a facilité l’émergence d’un nouveau groupe de 160 000 entrepreneurs créatifs canadiens, dont 40 000 ont atteint un public suffisant pour être en mesure de monétiser leurs chaînes (ce qui nécessite un minimum de 1 000 abonnés). Ce sont des producteurs dans tous les sens du terme: créatifs, commerciaux et créateurs d’emplois pour eux-mêmes et pour les autres. On dénombre au Canada pas moins de 28 000 emplois équivalents temps plein (ETP) dans l’écosystème YouTube. Il s’agit d’une estimation très prudente (selon la méthodologie décrite en détail dans le rapport) qui exclut ceux qui travaillent sur les 120 000 chaînes canadiennes qui ne sont pas monétisées.

Revenus

Le modèle de revenus de YouTube consiste à partager les recettes publicitaires avec les créateurs: YouTube conserve 45% de celles-ci et verse le reste aux créateurs. L’étude révèle qu’une variété de sources de revenus est courante chez les créateurs, leur permettant d’engranger des revenus stables grâce à des collaborations avec des marques, des apparitions, des combinaisons de médias, etc.

Il est important de noter que YouTube ne dispose d’aucune donnée sur les revenus hors plateforme. Notre calcul des revenus inclut toutes les sources de revenus ― dont les collaborations avec des marques, les parrainages, les apparitions, les autres médias et plus encore ― et pas seulement la monétisation directe de contenu publicitaire.

Parmi les créateurs admissibles, 70% ont déclaré tirer des revenus de leur chaîne YouTube. 61% de ces chaînes «admissibles et génératrices de revenus» génèrent moins de 10 000 $ de revenus bruts. 15% des créateurs admissibles gagnent 50 000 $ ou plus avec leur chaîne, 12% gagnent 75 000 $ ou plus et 9% gagnent 100 000 $ ou plus. Il faut garder à l’esprit que ces montants sont des revenus bruts et couvrent tous les coûts de production et de fonctionnement.

Diversité

Les créateurs de YouTube sont très diversifiés sur les plans de l’âge, de la géographie, de la langue maternelle parlée, du genre, de l’origine ethnique et de la capacité physique ― un résultat obtenu sans quotas ni incitations. De plus, les utilisateurs canadiens de YouTube apprécient la diversité à laquelle YouTube leur donne accès, notamment en matière des genres, perspectives, voix, langues, régions géographiques, sexes et origines ethniques qui ne sont pas aussi visibles dans d’autres médias. Les utilisateurs canadiens de YouTube ont également discuté de la «diversité des sujets d’actualité» comme étant quelque chose qu’ils constatent sur YouTube plutôt que dans les médias traditionnels.

Réponses au sondage sur le thème de la diversité

«Je peux décrire la diversité comme le fait qu’il existe de nombreux types différents de vidéos et cela permet aux gens de s’exprimer beaucoup. Cela permet une grande diversité et c’est ce qui rend YouTube unique…»
- Un utilisateur canadien de YouTube.

«Des gens de tous les horizons, de tous les styles de vie, de toutes les cultures, des opinions des jeunes et des moins jeunes, des langues variées, de toutes les croyances et bien plus encore.»
- Un utilisateur canadien de YouTube, sur la diversité que lui offre YouTube et qu’il ne trouve dans aucun autre des médias grand public.

«La capacité à découvrir de nouvelles choses dont je n’avais jamais entendu parler auparavant: des artistes, des danses, des innovations, des tendances. Avec la télévision, on est limité aux chaînes auxquelles on est abonné, tandis que YouTube est illimité.»
- Un utilisateur canadien de YouTube.

«La diversité revêt pour moi de nombreuses formes – qu’elle soit sexuelle, culturelle, raciale, religieuse, socio-économique, intellectuelle, physique ou ainsi de suite. Je n’ai eu aucun problème à trouver la diversité sur YouTube.»
- Un utilisateur canadien de YouTube.

Renforcement de compétences

YouTube offre une gamme de services gratuits en ligne pour renforcer les compétences des créateurs dans deux domaines: la gestion des chaînes et le marketing (la Creator Academy) et l’analyse d’auditoires (le Studio YouTube). Les entrepreneurs créatifs canadiens aiment utiliser ces services pour développer leur public au fil du temps, comme le montre le tableau ci-dessous. Plus un producteur canadien reste longtemps sur YouTube, plus la probabilité qu’il se constitue un plus vaste public augmente, ce qui, en fin de compte, augmente ses chances d’être admissible à la monétisation.

Source: Watchtime Canada: How YouTube Connects Creators and Consumers

Une boucle de rétroaction serrée entre créateurs et publics

YouTube est structurée comme une chaîne de valeur (de la recherche et développement au contenu de fabrication et au rendement du capital investi) qui intensifie les liens entre créateurs et consommateurs de contenus. La plateforme privilégie les contenus qui sont produits de manière informelle et mis en ligne fréquemment, ce qui facilite le lien direct et instantané entre le créateur et les consommateurs.

À mesure que les créateurs s’engagent auprès des publics par le biais de nombreux types de réactions, ils réagissent en créant plus de contenu pour attirer un plus grand public, ce qui se traduit par un accroissement de leurs revenus. Pour nous, cela suggère le pouvoir de la créativité canadienne d’attirer des publics dans un cadre de concurrence mondiale ouverte et non protégée.

Exportations

YouTube est un instrument d’exportation mondial gratuit et instantané. Cet avantage est très populaire auprès des créateurs canadiens, qui dominent l’ensemble de la plateforme en matière d'exportation: 90% des visionnements des chaînes canadiennes proviennent de l’étranger. Voici un commentaire typique: «J’aime utiliser ma créativité canadienne pour inspirer le monde.»

Les créateurs canadiens de contenu présents sur YouTube ont créé des chaînes qui sont des succès mondiaux dans tous les genres de YouTube. Le public canadien de YouTube apprécie également YouTube comme plateforme mondiale: 65% de ses membres déclarent que YouTube est le meilleur endroit où regarder la même vidéo que n’importe qui d’autre dans le monde.

Contenu canadien

88% des utilisateurs canadiens de YouTube indiquent qu’ils ne recherchent pas activement des contenus canadiens sur YouTube, et ce sans différence significative selon l’âge ou la langue première. Cependant, les créateurs canadiens présents sur YouTube indiquent que le Canada est leur plus grand public, suivi des États-Unis et du Royaume-Uni. La France constitue également un public précieux.

Une majorité (65%) des utilisateurs canadiens de YouTube estiment qu’aucun gouvernement ou autre organisation ne devrait pouvoir dicter ce qu’ils peuvent regarder ― ou pas ― sur YouTube.

En complémentarité ― plutôt qu’en concurrence ― aux médias traditionnels

L’étude a révélé que YouTube n’est pas le premier endroit que les utilisateurs canadiens de YouTube consultent pour de la musique, du divertissement (y compris des narrations longs métrages, des sports et des comédies), ou des actualités, ce qui suggère que YouTube est complémentaire aux médias traditionnels.

Les liens entre YouTube et les médias traditionnels se font dans les deux sens. Nous avons trouvé de nombreux exemples de succès sur YouTube menant à des succès sur des plateformes de médias traditionnels ainsi que de nombreux exemples de créateurs de médias traditionnels migrant vers YouTube pour tirer profit de ses avantages, comme le montrent les noms bien connus dans la boîte grise.

Unique: entre médias traditionnels et médias sociaux

En conclusion, il n’y a rien de comparable à YouTube dans l’écosystème médiatique canadien. C’est un hybride unique qui se situe entre les médias traditionnels et les médias sociaux. Plus de la moitié des internautes canadiens accèdent à YouTube sans compte Google, ce qui confirme que les fonctionnalités interactives de la plateforme sont bien moins appréciées que les affordances personnelles.

Source: Watchtime Canada: How YouTube Connects Creators and Consumers

Irene S. Berkowitz, Ph. D., est Policy Fellow à l’Audience Lab de la Faculté de communication et de design (FCAD) de l’Université Ryerson. Hanako Smith est candidate au doctorat dans le programme conjoint des Université York et Université Ryerson en communication et culture.

Plus encore que les chiffres, nous avons constaté que l’impact de YouTube s’explique par l’énergie remarquable et la popularité mondiale des YouTubeurs canadiens sur la plateforme. Voici quelques-uns des créateurs canadiens qui accumulent des milliards et des millions de visionnements:

Des milliards de visionnements

Les grandes vedettes canadiennes comprennent Justin Bieber (20 milliards de vues, a été découvert sur YouTube), Shawn Mendes (8 milliards de vues, a appris la guitare sur YouTube), Lilly Singh (3,2 milliards de vues, anime maintenant un talk-show de fin de soirée sur les ondes de NBC), The Weeknd (9,3 milliards de vues) et Drake (6,8 milliards de vues), entre autres. De nombreux créateurs canadiens qui ne sont pas connus de tous ont également recueilli des milliards de visionnements:

- La chaîne de gaming la plus populaire sur YouTube est VanossGaming (12 milliards de vues) d’Evan Fong, 27 ans, de Richmond Hill, en Ontario. Il a gagné 17 millions $ en 2017.

- La chaîne Unbox Therapy de Lewis Hilsenteger de Markham, en Ontario (3,3 milliards de vues) est l’une des chaîne sur la technologie les plus populaires.

- La chaîne Super Simple Songs de Skyship Entertainment, de Toronto (17 milliards de vues), et WatchMojo, de Montréal (12,8 milliards de vues), sont si populaires qu’elles ont lancé leurs propres studios.

- La chaîne AsapSCIENCE de Gregory Brown et Mitchell Moffit de Guelph (1,3 milliard de vues) est une chaîne éducative très courue.

- La chaîne de Vice News (2,5 milliards de vues), aujourd’hui propriété américaine, a été fondée par les entrepreneurs montréalais Suroosh Alvi, Shane Smith et Gavin McInnes.

Au chapitres des genres croisés, citons la chaîne comédie-alimentaire montréalaise Epic Meal Time (1 milliard de vues), la chaîne comédie-beauté ottavienne Simply Nailogical (1,5 milliard de vues), la chaîne de l’ancienne élève de Ryerson et créatrice LaurDIY (1,2 milliard de vues) et bien d’autres encore.

Des millions de visionnements

- Le palmarès canadien se poursuit avec GigiGorgeous (492 millions de vues), chaîne homonyme de l’artiste, écrivaine et cinéaste transgenre Gigi Gorgeous, qui se classe également parmi les chaînes canadiennes les plus populaires.

- The Hacksmith (613 millions de vues) inspire les enfants à apprendre les STIM.

- FaZe Pamaj (610 millions de vues) met en vedette Austin Pamajewon de la Première Nation de Shawanaga.

- La vlogueuse beauté non-voyante Molly Burke (130 millions de vues) faisait l’object d’un reportage dans le numéro de février 2019 de Teen Vogue.

- Aysha Harun (23 millions de vues) se qualifie elle-même de «canadienne qui redéfinit ce que signifie la beauté».

- Qui peut oublier le groupe indépendant Walk Off the Earth (818 millions de vues), dont la seule reprise de «Somebody That I Used to Know» a été visionnée à plus de 175 millions de reprises?

- Amanda Muse (10,3 millions de vues) est passée de maman blogueuse à dirigeante d’une marque lifestyle mise en vedette sur Time.com.

- The Icing Artist (847 millions de vues) est passé de 30 000 à un million d’abonnés lorsque la créatrice Laurie Shannon a utilisé le sous-titrage gratuit de YouTube pour rejoindre un public mondial désireux d’apprendre comment décorer des gâteaux.

Enfin, il ne faut pas oublier TheSorryGirls (226 millions de vues), Peter McKinnon (282 millions de vues), Home RenoVision DIY (80 millions de vues) et ElleOfTheMills (159 millions de vues), une créatrice philippino-canadienne d’Ottawa qui a remporté le prix Shorty dans la catégorie «Breakout YouTuber» en 2018. Et la liste continue.


Irene S. Berkowitz
Irene S. Berkowitz, Ph. D, est chargée de cours au MBA à l’école de commerce Ted Rogers et associée de recherche principale au Media Innovation Research Lab à l’Université Ryerson. Son mémoire de doctorat sur la politique canadienne de radiodiffusion, déposé dans le cadre de l’instance du CRTC intitulée Parlons télé, lui a valu une reconnaissance nationale. Des médias comme le Globe and Mail, Playback, BNN, Sirius XM et CBC font souvent appel à son leadership éclairé. Mme Berkowitz est titulaire d’un doctorat de l’Université Ryerson, d’une maîtrise de l’Université de Chicago et d’un baccalauréat de l’Université Cornell.
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