Recommencer à socialiser: leçons apprises à SXSW

C’était la première fois cette année que SXSW se déroulait entièrement en ligne. Le festival de films, de musique et de médias interactifs, qui se tient généralement en mars, avait été annulé à la toute dernière minute en 2020, alors que la pandémie de COVID-19 s’accélérait. Pour la deuxième année consécutive, nous avons donc dû nous passer du chaud soleil du Texas et de la célèbre nourriture de rue d’Austin. Et plutôt que de faire des rencontres fortuites dans les files d’attente avant d’être soufflés par de merveilleuses innovations, nous avions une suite de rendez-vous avec notre ordinateur.  Lorsqu’il ne nous est pas possible de nous voir en personne et que nous devons nous en tenir aux rencontres en ligne, comment parvenir à reproduire une impression de connexion, d’appartenance ou d’affinité en virtuel?

L’un des sujets prééminents de l’édition de cette année était le rôle que joue la technologie dans la pandémie et sa capacité, ou son incapacité, à recréer le monde d’avant. La COVID-19 nous a forcés à changer certaines façons de faire, dont notre manière de socialiser. Est-ce qu’une technologie, de quelque type que ce soit, peut véritablement se substituer aux contacts physiques? Que font les créateurs d’espaces virtuels partagés pour essayer de compenser ce qui a été perdu en contexte de distanciation sociale ? 

LA SOCIALISATION EN LIGNE EST BIEN IMPLANTÉE

Quand on lui a demandé quelle serait la chose qui reviendrait immédiatement à ce qu’elle était une fois la la pandémie terminée, le célèbre historien, philosophe et auteur de Sapiens et Homo Deus Yuval Noah Harari a répondu: les câlins. «Le SIDA n’a pas eu raison du sexe, la COVID n’aura pas raison des câlins.»

Voilà qui est intéressant. En effet, nous sommes tous impatients de pouvoir, lorsque les mesures sanitaires seront levées, prendre à nouveau nos proches dans nos bras en toute sécurité et quand bon nous semblera. La pandémie nous a fait découvrir de nouvelles notions, comme la privation du toucher et la faim de la peau. Alors non, le besoin de serrer les gens dans nos bras ne va pas disparaître, car il est incrusté dans nos besoins biologiques fondamentaux.

Cela dit, nous avons découvert une nouvelle façon de rester connectés les uns aux autres durant cette pandémie: nous avons passé la majeure partie de la dernière année en ligne, sur une plateforme ou une autre, à essayer de tisser des liens professionnels, amicaux ou amoureux. À la conférence What’s next in social? Enter the metaverse («À venir dans les réseaux sociaux: entrez dans le métavers), Jessica Freeman, directrice de Minecraft Marketing, Microsoft Corp., a relaté sa rencontre avec une grand-maman qui lui a raconté qu’elle jouait désormais à Minecraft avec son petit-fils toutes les semaines. Même une fois que les restrictions liées à la COVID seront levées, cette connexion permise par le jeu en ligne les aura rapprochés de façon durable.

Bien entendu, nous savions comment établir des contacts en ligne avant la pandémie, mais nous avions d’autres options. Maintenant, c’est devenu partie intégrante de nos habitudes de socialisation. C’est l’une des raisons qui poussent Lauren Bigelow, directrice produit, IMVU, Inc. à penser que «nous ne pourrons pas remettre le génie dans sa lampe». Nous voulons recommencer à socialiser en personne, mais il y a fort à parier que nous continuerons de miser sur ces façons de créer du lien en ligne récemment apprises.

LES DÉFIS DES RAPPROCHEMENTS VIRTUELS

Nous l’avons tous vécu: les réunions en ligne ne se déroulent pas toujours de façon fluide. Il faut beaucoup d’ajustements, même une fois qu’on a réglé les problèmes techniques. Comme l’a rappelé Shasta Nelson, experte en amitiés et relations saines: «Une interaction n’est pas une connexion. Le sentiment d’appartenance n’apparaît pas comme par magie.» C’est un fait, on peut se sentir bien seul au milieu d’une foule. Et même si l’objectif n’est pas toujours de chercher à se faire des amis en ligne (ne le prenez pas mal, chers collègues), nous devons sentir que nos connexions virtuelles sont sécuritaires et positives.

Et c’est ici qu’entre en scène le concept du métavers. Il s’agit d’un espace collectif partagé et d’un excellent outil pour expérimenter comment les  interactions humaines s’adaptent en fonction du monde virtuel. On crée une représentation numérique de nous-mêmes qui nous permet de nous connecter les uns avec les autres dans un espace virtuel. Ceux qui créent ces espaces doivent donc réfléchir à la façon dont les gens veulent être représentés (fidèlement ou non) et à la manière dont ils veulent vivre l’interaction avec les autres avatars.

C’est précisément le type de questions que se posent les gens de chez Facebook tandis qu’ils s’affairent à développer Facebook Horizon, espace virtuel conçu pour favoriser le jeu et la créativité. Lors d’une conférence sur le nouveau casque de réalité virtuelle Quest 2, Mark Rabkin, vice-président de Oculus chez Facebook, a indiqué que les membres de son équipe s’inspiraient de la réalité pour créer ces espaces, mais qu’ils devaient également explorer de nouvelles normes sociales. «Les lois de la physique ne sont pas les mêmes dans les mondes virtuels. Je crois qu’il est encore tôt, que les produits vont évoluer et que les comportements vont changer. Je crois que, selon les expériences qui deviendront les plus populaires et les plus précieuses aux yeux des gens, ces nouvelles normes remplaceront les anciennes. Nous réfléchissons à l’interruption de la parole[MP1] , à l’espace, à la distance. Qu’est-ce qui est trop proche? Qu’est-ce qui est trop loin? »

Contrairement à ce qui se passe sur les plateformes 2D comme Zoom, où ce n’est pas toujours simple de savoir à qui c’est le tour de parler, l’audio spatial en réalité virtuelle dirige la conversation d’une façon plus fluide. Rabkin a également rappelé l’incidence de la présence physique sur notre souvenir des événements. Lorsque nous sommes dans une pièce avec des gens, nous retenons bien mieux le contexte périphérique, comme l’endroit où les autres étaient assis, les détails moins importants de la réunion, l’ambiance générale. Rabkin a affirmé avoir des souvenirs beaucoup plus vifs de réunions en réalité virtuelle que de réunions sur Zoom, par exemple, entre autres grâce à cet espace virtuel partagé.

Illustration de Nandita Ratan

NORMES SOCIALES ET MÉTAVERS

Mark Rabkin croit que, grâce à des progrès techniques et artistiques, les avatars paraissent vraiment réels dans les métavers. Il reconnaissait sa façon d’être et de bouger dans Facebook Horizon. Il sentait qu’il était lui-même, mais en virtuel. Toutefois, tous ne souhaitent pas en arriver là. En août dernier, des utilisateurs ont été très contrariés d’apprendre que Facebook exigerait des gens qu’ils possèdent un compte sur sa plateforme pour utiliser ses casques de réalité virtuelle.

Lors d’une conférence où il partageait la scène avec Rabkin, le journaliste de CNET Scott Stein a rappelé cette décision très mal accueillie. Selon lui, il est impératif que nous ayons le choix de la façon dont nous nous présentons en ligne et la liberté qui vient avec. En effet, il est possible que les gens ne veuillent pas utiliser la même identité dans tous les contextes, ce avec quoi Rabkin est en partie d’accord. «Je crois que les gens feront beaucoup de choses en réalité virtuelle, alors ce sera une priorité que de se présenter correctement dans chaque espace qu’ils habiteront.» Selon lui, le fait de se connecter à Facebook donnera à chaque personne l’accès à son schéma social, établi au fil du temps sur toutes les plateformes et tous les systèmes de messagerie du réseau de Facebook. Cela dit, il croit qu’il pourrait être important d’avoir un pseudonyme pour le jeu et un avatar différent pour le travail. À ce propos, la clé, selon lui, réside dans la flexibilité.

Utiliser le design de produits pour faire vivre aux utilisateurs des expériences positives en espaces virtuels est l’une des priorités de Meaghan Fitzgerald, directrice marketing des produits à Facebook Reality Labs Experiences. Les utilisateurs veulent s’exprimer différemment dans un univers virtuel et, bien entendu, il est très différent d’interagir avec des gens que nous connaissons déjà - ce qu’explore Meaghan Fitzgerald avec le développement de Messenger au sein d’Oculus - et d’établir de nouvelles connexions avec des inconnus.

À ce sujet, il y a des leçons à tirer du monde du jeu vidéo. Kim Cook, directrice des initiatives créatrices pour le Burning Man Project croit que les jeux vidéo nous ont appris à socialiser en espaces virtuels. Les «gamers» tissent des liens entre eux par l’entremise des sports électroniques depuis de nombreuses années déjà. «Ils ont 20 ans d’avance sur nous», a-t-elle dit. Cependant, il reste à relever le défi de placer plusieurs centaines d’avatars dans un même métavers.

Lors de la discussion intitulée No Spectators: Community-built Virtual Multiverses («Aucun spectateur: multivers virtuels bâtis par une communauté»), Timothy Waldron, du groupe Courier Club, est revenu sur la création de Block by Blockwest, festival virtuel de musique hébergé par Minecraft. L’interaction avec l’audience, si chère à ses yeux en tant qu’artiste, manquait lors des concerts diffusés en direct au début de la pandémie. Il cherchait des façons de recréer cette connexion entre le groupe et le public, et de permettre aux gens dans l’assistance d’avoir une connexion entre eux. Ça demeure difficile à réussir à grande échelle tout en évitant les pépins techniques. Les normes sociales dans le métavers, qu’il s’agisse de réunir de larges foules ou seulement deux personnes, restent encore à élaborer. Quoiqu’il en soit, tout cela pourrait bien nous permettre de concevoir de meilleures façons d’interagir les uns avec les autres.


Catherine Mathys
Catherine Mathys travaille dans le milieu de la production audiovisuelle et des médias depuis près de 20 ans. Chroniqueure, reporter et animatrice, elle s’est spécialisée dans la dernière décennie dans l’analyse des transformations technologiques et médiatiques. Titulaire d’un baccalauréat en sociologie et d'une maîtrise en communication, elle apprécie tout particulièrement observer notre rapport à la technologie et son impact sur notre quotidien.
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