Repenser le contenu canadien
Notre industrie des écrans est à la croisée des chemins et une discussion sur le contenu canadien s’impose. Au cours des prochains mois, le FMC souhaite lancer une conversation sur une possible nouvelle définition du contenu canadien: Quels sont les enjeux? En quoi est-ce important? Quel avenir envisage-t-on pour l’industrie? Cet article est le premier d’une série Futur et Médias qui offrira une tribune à des voix diverses qui se pencheront sur l’essence du contenu canadien, l’authenticité, la propriété intellectuelle, les modèles d’affaires, et plus encore.
Le nom de l’événement annonçait bien la discussion: Content Canada était l’endroit tout indiqué pour explorer les enjeux que soulève la redéfinition du contenu canadien.
Le 14 septembre, Valerie Creighton, présidente et chef de la direction du Fonds des médias du Canada (FMC) modérait un panel de discussion intitulé «What is Canadian content?» (Qu’est-ce que le contenu canadien?) pour donner le coup d’envoi officiel à l’exploration du contenu canadien par le FMC. Les participantes et participants à la table ronde étaient Melanie Nepinak Hadley, directrice générale de Warner Bros. Discovery Access Canada, Laura Michalchyshyn, chef des affaires commerciales et co-présidente de Blue Ant Studios, Richard Jean-Baptiste, producteur délégué et Vinay Virmani, chef du contenu à Uninterrupted.
Nous vous proposons ici un résumé de l’intéressante discussion qui s’y est déroulée et de l’introspection qu’elle a suscitée.
La diversité des récits canadiens à l’honneur
Le point de départ de la discussion: l’inclusion, ainsi qu’une reconnaissance générale que durant longtemps, les processus de définition du contenu canadien excluaient bon nombre de communautés.
Ce que nous appelons contenu canadien est «en fait la pointe de l’iceberg de tout ce que nous avons à offrir», indique Melanie Nepinak Hadley. Elle explique qu’en dépit de certaines similarités avec le contenu américain, du point de vue du cadre de référence et du style, «nos systèmes de valeurs restent différents.»
«Quand j’ai l’occasion de lire le texte d’un scénariste des États-Unis plutôt que du Canada, je ressens la différence. Même quand deux auteurs écrivent un étrange récit d’horreur campé dans un chalet dans les bois, j’ai l’impression que nos valeurs varient quelque peu. C’est donc important qu’on s’y attarde. En parallèle, il est également très important d’examiner ce qu’on peut faire pour rendre visible une plus grande portion de l’iceberg.»
Le producteur montréalais Richard Jean-Baptiste ajoute que notre contenu «devrait témoigner de notre diversité et de notre complexité». En parlant des cinéastes de renommée mondiale Denis Villeneuve et Xavier Dolan, Jean-Baptiste mentionne: «Ma seule préoccupation, quand il s’agit de proposer une définition du contenu canadien, c’est de ne pas oublier décide ce que le reste du globe voit émaner de notre industrie. Ce que j’observe, au Québec, c’est qu’un seul groupe de gens semble être représenté, donc nous passons à côté de bien des choses.»
La diversité n’est pas seulement une réalité démographique au Canada, c’est aussi une force et un élément vendeur, selon Vinay Virmani. «En plus de compter certains des meilleurs talents dans le monde, nous comptons certains des meilleurs talents issus de la diversité de la planète. C’est ce qui fait notre force: notre diversité, nos expériences, les expériences des personnes immigrantes au pays. En tant que producteur originaire du Sud de l’Asie, c’est ce que je vis, ce sont mes expériences et celles que mes parents ont vécues lorsqu’ils sont arrivés ici. Chacun peut s’y retrouver, à mon avis, et c’est ce qui rend notre contenu extraordinaire, unique même. Et pas juste ici, au Canada. C’est extrêmement vendeur à l’étranger.»
Les droits d’auteur suscitent des débats
Quand l’histoire et une partie des talents de création sont canadiens, mais que des intérêts étrangers sont propriétaires du contenu, parle-t-on encore de «contenu canadien»? Le Canada a connu une expansion rapide du secteur de la production de services étrangers au cours des dernières années, tandis que la production nationale a connu un déclin. La question est donc centrale.
«Pour un étranger, si le résultat est bon, le produit devient un formidable ambassadeur culturel. C’est un contenu canadien qui génère de la visibilité», mentionne Richard Jean-Baptiste. «Je me demande donc où la question du contenu canadien nous mènera, surtout au regard du projet de loi C-11, de la tentation de revisiter le système de points, etcetera. Je suis curieux car c’est une question très délicate.»
Pour Laura Michalchyshyn, une émission comme The Handmaid’s tale est «définitivement canadienne», même si les producteurs sont américains. La série Hulu, basée sur un livre de l’auteure canadienne Margaret Atwood, est tournée au Canada, avec une équipe de tournage et plusieurs talents créatifs canadiens. «Selon moi, ça a révolutionné l’univers de la littérature canadienne», indique Laura Michalchyshyn. «Tout le monde, aux États-Unis et ailleurs, a les yeux tournés sur notre littérature et s’intéresse à nos nouvelles, en se disant “Oh, Margaret Atwood! Nous ne l’aurions pas connue il y a 12 ans.” À présent, toute l’industrie sait qui est Margaret Atwood.»
Laura Michalchyshyn, qui est installée à New York depuis près de 20 ans, observe que les échanges sur la propriété intellectuelle sont plus présents au Canada qu’aux États-Unis. «En toute honnêteté, pour une personne qui arrive à vendre ses émissions partout dans le monde, le concept de propriété revêt de l’importance sur papier et sur le plan des ventes. Mais pour une personne au talent remarquable, que ce soit en scénarisation, en réalisation ou en production, les contrats s’enchaînent. Quand je parle aux gens aux États-Unis, ils me disent “Vous, au Canada, êtes obsédés par le concept de propriété.” Quand mon nom apparaît au générique pour la réalisation, la production et la scénarisation, c’est ça la propriété.»
Plusieurs membres du public ne partagent pas l’avis de Laura Michalchyshyn sur la propriété intellectuelle. Hoda Elatawi, productrice résidant à Ottawa, s’est prononcé spécifiquement au sujet des productrices et producteurs de communautés sous-représentées: «J’ai senti mes poils se dresser quand vous avez mentionné “Oh mon Dieu, les Canadiens et Canadiennes s’attardent bien trop à la propriété et aux droits d’auteur.” D’après moi, c’est parce que traditionnellement, c’est ce à quoi nous nous accrochions pour générer des revenus tangibles puisque nos budgets étaient archi-modestes. Si nous pouvions obtenir une commission, une pleine commission, comme cela se fait aux États-Unis, là où les budgets sont considérablement plus élevés, bien sûr, ça aurait du sens de les laisser aller.»
Moira Griffin, une productrice canadienne installée à Los Angeles offre quant à elle offert une autre perspective sur la propriété intellectuelle aux É.-U., en mentionnant que la propriété intellectuelle «revêt beaucoup d’importance parce que les sommes d’argent en jeu sont moindres, en particulier pour les pros de la création et de la production de la diversité. Voilà pourquoi les gens sont enclins à parler de propriété à l’heure actuelle. Elle ajoute que la question «ne touche pas seulement les personnes de couleur. Il s’agit d’une problématique liée au contenu qui se répercute à tous les niveaux […] et je m’oppose à l’idée que nous n’avons qu’à vendre nos projets comme on le fait aux États-Unis. À cet égard, l’équité n’est pas au rendez-vous, à moins d’être une grosse pointure qui peut générer ce genre de financement, mais bien peu de gens le sont. »
Le maintien des droits d’auteur peut s’avérer difficile quand on débute sa carrière au Canada. «Il y a très peu de portes sur lesquelles on peut frapper au pays en ce moment», explique Valerie Creighton, «ce qui n’aide pas les négociations.»
Au pays, la propriété intellectuelle n’a pas toujours été équitable, déclare Melanie Nepinak Hadley. «J’ai l’impression que les gens ont de la difficulté à décrocher des ententes pour joindre les deux bouts. C’est un grand défi que de finaliser des ententes ou de décrocher une entente pour une première œuvre, en raison des minuscules budgets. Et ça, c’est la réalité.»
Laura Michalchyshyn a précisé qu’elle ne croit pas que la PI ne revêt pas d’importance, mais que cet aspect ne devrait pas empêcher les pros de la création de réaliser leurs émissions. La «route menant [à la propriété] est longue» et à nos débuts, il peut s’avérer raisonnable d’accepter une entente, même si cela signifie qu’on ne détienne pas tous les droits sur notre œuvre, ne serait-ce que pour donner le coup d’envoi à notre carrière et profiter d’un effet de levier qui nous permettra de négocier de meilleures ententes plus tard.
Un mot-clé: partenariats
Le mot «partenariat» est largement revenu au fil des discussions, que ce soit entre les diffuseurs et les «streamers», entre secteurs, ou entre divers pays.
La suggestion de Laura Michalchyshyn, qui consiste à ouvrir le système de points afin de permettre plus de partenariats, a été applaudie: «Si Ava DuVernay veut venir à Toronto, à Vancouver, à Halifax ou à Winnipeg pour y produire une émission, et qu’elle recrute des talents afrodescendants de la scénarisation, de la production et de la réalisation du Canada, son nom aidera le projet à se vendre tant au Canada que sur Amazon, Netflix et Hulu aux États-Unis, ce qui entraînera une augmentation du budget de 2 M$ supplémentaires l’heure. C’est quelque chose à considérer, n’est-ce pas?»
Mais tout le monde n’est pas du même avis. Hoda Elatawi, la productrice basée à Ottawa, a rappelé à Laura Michalchyshyn la réalité à laquelle sont confronté×es bien des producteurs et productrices du Canada: «Ça n’est pas donné à tous d’avoir l’occasion de toucher à ce genre de projets.»
Fort de son parcours en publicité, Richard Jean-Baptiste a défendu des approches plus tournées vers les affaires dans l’industrie des écrans. «À titre d’industrie culturelle, nous devons sérieusement penser à tirer de meilleurs revenus des projets», en ajoutant que les partenariats avec le secteur privé pourraient générer beaucoup d’argent «si le gouvernement modifiait certaines lois et règles quant à l’attribution de crédits d’impôts.»
Au cours d’un échange sur le système de financement actuel, orienté vers les projets, les experts ont abordé l’importance de trouver de nouvelles sources de revenus. «Il devrait y avoir des bourses d’affaires destinées aux maisons de production qui créent du contenu pour les populations sous-représentées», mentionne Laura. Valerie Creighton a de son côté pointé du doigt les failles d’un système de financement basé sur des projets: « La pandémie de COVID-19 a véritablement mis en lumière la fragilité de notre système basé sur certaines de nos structures. [Le FMC] encourage très fortement l’adoption d’un modèle de financement pour des ensembles de projets et nous continuerons à le faire.»
Les vieilles recettes ne fonctionnent plus
Les panélistes s’entendent: même si les volets protectionnistes des systèmes en place à l’heure actuelle ont contribué à bâtir une industrie des écrans florissante au Canada, il est temps de changer les choses.
«Je crois que tous les programmes et les infrastructures en place ont protégé notre culture, et nous en sommes reconnaissants», indique Richard Jean-Baptiste, selon qui l’industrie doit se pourvoir d’une approche moins prudente et sans remords.
«Le dilemme, au Canada, est que nous nous sommes bâtis une industrie basée sur ces assises parce que notre voisin est le géant mondial du divertissement», précise Valerie Creighton. «Pour refléter un tant soit peu ce qui définit le Canada, il a fallu bâtir des structures. Elles ont été formidables et ont donné naissance à l’industrie. Elles ont contribué au PIB et assis notre réputation sur le plan international. Mais de nos jours, le monde a beaucoup changé, et la structure de briques que nous avons bâtie est en ruine et menace de s’écrouler.»
Au fur et à mesure que la conversation se poursuit, il est clair que «Qu'est-ce que le contenu canadien?» est une question opportune et critique pour notre industrie, avec des opinions divergentes sur les questions de propriété intellectuelle, d'opportunités commerciales, des structures actuelles, etc. Et toutes et tous s'accordent pour dire que la question du contenu canadien est inexorablement liée à l'ouverture et à l'inclusion. Le plein potentiel du contenu canadien ne peut être atteint qu'en ouvrant des portes et en rendant l'accès plus équitable, en créant des partenariats et en cherchant consciemment à entendre et à présenter toutes les histoires canadiennes.
Vinay Virmani a conclu en mentionnant qu’il est important de croire en l’avenir, «en nos histoires et en notre vérité, et de continuer nos percées.»
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