Roblox, nouveau terrain de jeu des créateurs d’ici 

Comment rejoindre les enfants, un public qui n’a souvent pas de téléphone et qui regarde peu les médias traditionnels? Pour de plus en plus de créateurs de contenu jeunesse, la réponse se trouve dans la plateforme de jeux vidéo Roblox. 

My Carrots Simulator est un jeu assez simple pour être joué par un enfant d’âge préscolaire. Assis sur un petit tracteur, le joueur ramasse des carottes géantes, puis les vend au village pour améliorer son véhicule, déverrouiller de nouveaux jardins ou changer son apparence. Pour 200 carottes, il peut même contrôler Mittens ou Pants, les personnages principaux de Mittens & Pants (Moustache et Patoune, en français), l’émission pour tout-petits de CBC, qui a inspiré ce jeu.  

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Capture d'écran du jeu My Carrots Simulator, sur Roblox.

« C’est très difficile de faire connaître notre émission aux jeunes enfants, alors on a décidé de créer cette expérience sur Roblox », explique le créateur de la série et PDG du studio Windy Isle Entertainment, Phil McCordic. Son pari : qu’après avoir joué à My Carrots Simulator sur Roblox, les enfants regardent la série sur YouTube, CBC, CBC Gem ou Tou.tv.  

My Carrots Simulator est l’un des millions de mondes virtuels sur Roblox, une plateforme américaine qui attire plus de 110 millions de joueurs par jour sur ordinateur, console ou téléphone intelligent, principalement des enfants. Les joueurs peuvent créer leurs propres jeux ou expériences, jouer à ceux des autres, ou passer d’un monde à l’autre en discutant avec leurs amis, s’ils ont plus de 13 ans.  

« Roblox est comme le YouTube du jeu vidéo », résume Phil McCordic.  

Windy Isle Entertainment a choisi de créer un jeu de toutes pièces, avec l'aide de collaborateurs externes. Le développement a duré huit mois, et coûté 40 000 $, sans compter les mises à jour subséquentes. En une année et demie, il a été joué plus de 120 000 fois.   
 

Une campagne Roblox temporaire 

Pour le lancement de la deuxième saison de la série pour préados Macy Murdoch sur CBC Gem, au printemps 2025, la compagnie de production Shaftesbury a décidé d’adopter une stratégie différente de celle de l’équipe de Mittens & Pants : s’associer à un jeu Roblox existant, Teamwork Puzzles 2.  

Pendant un peu plus de cinq semaines, tout le visuel du jeu était à l’image de Macy Murdoch : des casse-têtes pour faire une mission dans l’univers de la série et du contenu vidéo tourné exclusivement pour la campagne.  

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Capture d'écran du jeu de Macy Murdoch sur Roblox.

Pendant les cinq semaines qu’il a été en ligne, le jeu de Macy Murdoch a été joué pendant 49 000 heures, et des millions de joueurs ont été en contact avec la marque.  

Pour Jay Bennett, consultant stratégique principal chez Shaftesbury, de tels résultats n’auraient pas été possibles en créant une expérience de toutes pièces. Du moins, pas à court terme. « Je suis convaincu que c’était la meilleure façon de faire. C’est un peu comme collaborer avec des créateurs sur YouTube, qui ont déjà une audience, plutôt que de tenter de bâtir une chaîne à partir de zéro », résume-t-il.  

Shaftesbury ne dévoile pas le budget de sa campagne, mais précise qu'il était important. « Même en partant d’un jeu existant, il nous a fallu six mois pour développer la campagne », indique Jay Bennet. Le studio conserve toutefois ce qui a été développé pour le jeu, ce qui pourrait simplifier la création d’une expérience similaire pour une prochaine saison.  

Participer à un univers existant 

Les studios qui ont de plus petits budgets, ou qui n’ont pas l’expertise nécessaire pour développer une expérience Roblox, ont aussi la possibilité de s’associer à des développeurs existants, comme le développeur de franchises pour enfants Epic Storyworlds, derrière l’expérience Roblox Fracterra.  

« Fracterra est une plateforme qu’on a créée sur Roblox pour aider les producteurs en télé et en cinéma à rejoindre les plus jeunes », explique Steve Couture, cofondateur d’Epic Storyworlds. 

Fracterra se veut une sorte de ville qui offre des jeux et des activités, et où différentes marques destinées aux jeunes cohabitent. Le joueur peut par exemple aider le papa autruche de la série canadienne Cracké, produite par Productions Squeeze, à retrouver ses enfants égarés dans Fracterra, et croiser sur son chemin d’autres marques, comme Bubble’s Hotel, d’Epic Storyworlds.  

« On donne ensuite aux producteurs des données brutes ; par exemple, combien de joueurs d’un certain pays ont interagi avec la marque, ce qui peut les aider à vendre leur contenu », dit Steve Couture.  

Les forfaits d’Epic Storyworlds destinés aux producteurs qui souhaitent avoir une présence sur Fracterra commencent à environ 20 000$. L’entreprise peut aussi développer des jeux indépendants pour les producteurs.  

Roblox peut aussi devenir une déclinaison de la franchise à part entière 

Dans certains cas, Roblox est plus qu’une porte d’entrée.  

Le jeu Roblox Total Roblox Drama a été joué plus de 670 millions de fois à ce jour. Fresh TV – qui est derrière la série télé pour adolescents Total Drama Island, qui a inspiré le jeu –, considère Roblox comme une plateforme à part entière, et non juste une manière d’attirer des jeunes sur YouTube ou à la télévision.  

« Il faut dire que la série elle-même raconte l’histoire d’un jeu télévisé. Le jeu est donc dans l’ADN de Total Drama Island », observe le cocréateur de la série et président de Fresh TV, Tom McGillis. 

Des mises à jour à prévoir 

Peu importe le modèle choisi, la mise en ligne d’une expérience Roblox ne représente que le début du travail pour les développeurs. « C’est comme avec YouTube. Si tu crées une chaîne et que tu n’y touches plus par la suite, elle va mourir d’elle-même », explique Jay Bennett, de Shaftesbury. 

« Si le jeu n’est pas tenu à jour, l’algorithme de Roblox ne le présentera pas aux joueurs », renchérit Phil McCordic, de Windy Isle Entertainment. Les créateurs ajoutent souvent du contenu à leur jeu d’une manière périodique et changent parfois temporairement son apparence au gré des fêtes, comme l’Halloween ou Noël. 

Phil McCordic estime que 18 mois de mises à jour lui ont coûté environ 30 000$ pour My Carrot Simulator. De son côté, Steve Couture, d’Epic Storyworlds, prévoit que pour une expérience plus grosse, qui coûterait par exemple 200 000$ à développer, il faut s’attendre à une facture d’environ 70 000$ annuellement en frais d’entretien.  

Tous les créateurs contactés sont néanmoins convaincus de l’attrait de Roblox. « De la même façon qu’il fallait être sur les réseaux sociaux et sur YouTube il y a 10 ans, il faut aujourd’hui être sur Roblox quand on parle aux jeunes, croit Jay Bennett. C’est vraiment une plateforme puissante pour raconter des histoires. »  


Maxime Johnson
Journaliste indépendant spécialisé en technologies, Maxime Johnson collabore ou a collaboré à de nombreuses publications, dont L'actualité, Les Affaires, Infobref, Pèse sur start et Protégez-Vous.
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