SUPERSYMMETRY: rencontre poétique entre l’interactif, le tricot et la physique quantique

String Theory (noun): A cosmological theory based on the existence of cosmic strings. (Traduction libre: la théorie des cordes est une théorie cosmologique basée sur l’existence de cordes cosmiques.)
Supersymmetry (noun): Predicts a partner particle for each particle. (Traduction libre: la supersymétrie prédit qu’il existe une particule partenaire à chaque particule.)

Il y a d’abord Vali Fugulin, productrice et conceptrice, grande passionnée du tricot et des métiers d’art, qui a eu l’étincelle créative pour le projet. Ensuite, Émilie F. Grenier, designer narrative, qui détient une maîtrise du programme Material Futures de la Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. Puis, Lysanne Latulippe, la créatrice de String Theory, un studio textile montréalais franchement hors-norme, avec lequel Émilie souhaitait collaborer depuis longtemps. Et, finalement, le directeur de création Nicolas S. Roy et son équipe chez Dpt., une boîte de design axée sur le développement d’expériences interactives.

«J’ai toujours adoré les métiers d’art. Je ne manque jamais de visiter les artisans ou les cercles de fermières partout où je voyage dans le monde. Et ce que je préfère à travers mon travail, c’est de créer des hybrides entre des domaines dont les chemins ont rarement eu la chance de se croiser. Si on en rajoute en me disant que c’est impossible…! L’idée de relever un défi a été l’impulsion de départ pour marier métiers d’art et technologies interactives.» — Vali Fugulin

Ensemble, ils se rassemblent autour d’une table et discutent pendant des heures de l’idée folle de créer un projet interactif autour du tricot. Un financement de la SODEC plus tard naissait SUPERSYMMETRY, une expérience d’achat en ligne inspirée de la pure tradition des métiers d’art, de la physique quantique et du webdocumentaire, où chaque utilisateur joue avec un algorithme pour créer un foulard double, à partager avec un être cher.

«Ce que je préfère à travers mon travail, c’est de créer des hybrides entre des domaines dont les chemins ont rarement eu la chance de se croiser.»
— Vali Fugulin

La beauté et la folie du projet s’expliquent en grande partie par le talent et la complémentarité des perspectives de ses créateurs. Comme s’ils étaient eux-mêmes de petites particules unies par des liens cosmiques, qui n’attendaient que de se retrouver pour créer quelque chose d’aussi surprenant que signifiant.

L’interactif et le tricot

De tous les métiers d’art, le tricot est certainement le plus geek. «Le métier à tisser est l’ancêtre de la programmation. En textile, on est beaucoup en mathématiques, parce qu’on est toujours dans la grille. Ce n’est pas de la matière comme l’argile, le verre ou le bois», m’apprend Lysanne au Mylène B sur Saint-Laurent à Montréal, là où a eu lieu le lancement montréalais du projet. Si une part importante de son travail consiste à créer des designs uniques pour ses collections, une autre partie essentielle de son quotidien est d’opérer sa machine à tricot, qu’elle s’est procurée au Japon et qu’elle est la seule à posséder au Canada. C’est ce tricotron assez intimidant qui est à la base du succès du projet, puisqu’elle contrôle toutes les étapes de la production de ses produits. Pour faire une analogie avec le monde de l’édition: elle est à la fois l’autrice et l’imprimeuse.

Le concept de SUPERSYMMETRY en était un d’envergure créative et technologique remarquable. «Tout dans le processus était expérimental», rappelle Émilie. Et si Dpt. a l’habitude de collaborer avec des artistes, il s’agissait d’une première pour le studio montréalais: «Peu importe les collaborations, il y avait toujours un lien à faire avec l’univers du numérique. Mais avec les métiers d’art, c’est un milieu tellement loin du nôtre. Il fallait rejoindre nos deux univers pour créer quelque chose qui ait du sens pour Lysanne comme pour nous.» Pari réussi.

L’harmonie qui émerge du chaos

L’entièreté du processus de SUPERSYMMETRY – de son financement à son lancement – s’est étalée sur une année. Par ailleurs, mentionnons que le lancement devait concorder avec la fin de la saison hivernale, en raison de la nature du produit, ce qui a donné lieu à des défis créatifs vertigineux, me rappelle Nicolas, directeur de création chez Dpt.: «On a tourné en rond longtemps avant de savoir comment on allait aborder ce projet-là. C’est du e-commerce, d’une certaine façon, mais financé par la SODEC dans un contexte culturel de storytelling, et dont le cœur du concept était une expérience narrative de webdocumentaire à la manière de l’ONF.» Immense casse-tête, qui a nécessité des rencontres hebdomadaires entre les créateurs et qui a mené à autant d’idées délaissées en cours de route qu’à des culs-de-sac technologiques.

Ce sera finalement la confiance aveugle dans le processus créatif, la volonté inébranlable de créer un projet signifiant et le filon de la physique quantique qui finiront par attacher tous les morceaux du projet ensemble.

«C’était un réel processus expérimental. Et comme dans tout processus expérimental, c’est le chaos un long bout. Mais à l’intérieur de ce chaos, tout le monde gravite autour de la lumière. Chacun est un expert dans son domaine et on se rencontre pour essayer de créer quelque chose de toute pièce: c’est nécessairement beaucoup d’embûches.» — Émilie F. Grenier

L’expérience interactive de SUPERSYMMETRY est portée par un poème de quelques minutes inspiré de la théorie du même nom de la physique quantique. Quelques minutes qui suffisent pour créer un lien extrêmement fort entre l’utilisateur et sa création, et un storytelling autour du foulard, pour lequel l’utilisateur développera un attachement bien au-delà de l’expérience d’achat de produits personnalisés traditionnels. Rien à voir avec les espadrilles dont on change les couleurs en quelques clics.

«Et comme dans tout processus expérimental, c’est le chaos un long bout. Mais à l’intérieur de ce chaos, tout le monde gravite autour de la lumière.» — Émilie F. Grenier

Une expérience d’achat expérimentale

Quelques éléments ont été clairs dès les balbutiements du projet. D’abord, le foulard créé serait double, et chacune de ses pièces serait réellement unique, dans la tradition des métiers d’art. Ensuite, la piste de la physique quantique – qui a également inspiré le nom String Theory de la compagnie de Lysanne – s’est inscrite comme la saveur poétique qui tracerait le chemin entre les différentes décisions de l’utilisateur dans la création de son foulard.

«Je me suis mise à faire des recherches sur la physique quantique et j’ai découvert la théorie de la supersymétrie, qui se base sur le fait que deux particules qui vivent dans le cosmos sont liées. Aussi, même si ce n’est pas un effet miroir, chacune est touchée et transformée quand l’autre vit un événement cosmique. C’était criant de narrativité et de poésie. Alors, j’ai écrit un poème basé sur cette théorie, qui accompagne les utilisateurs dans la création de leur écharpe.»

La théorie de la supersymétrie implique également tout un vocabulaire qui dicte non seulement la relation entre les différents motifs du projet, mais qui accompagne aussi toute l’expérience interactive de la création du foulard, du début à la fin.

Il était également primordial que les foulards portent l’essence de la vision artistique de Lysanne et qu’ils soient tous esthétiquement intéressants, peu importe les choix des utilisateurs. «L’univers de Lysanne est peuplé de motifs qui sont déjà graphiquement proches de l’univers numérique à la base», souligne Vali. Et c’était une chance, considérant le travail de moine qui a été nécessaire entre la créatrice et les programmeurs de Dpt. pour développer d’abord un inventaire de formes, puis des interactions entre celles-ci qui donneraient toujours un rendu graphiquement intéressant.

«Nous étions tous un peu paniqués à un certain moment. Est-ce qu’on va être capables de faire quelque chose de cool, ou va-t-on finir avec des foulards qui ne ressemblent à rien?», confie Nicolas, qui rappelle que plusieurs pistes franchement intéressantes ont dû être abandonnées en cours de processus, puisque le rendu était beaucoup trop aléatoire ou collé à un algorithme inflexible. Le concept de l’unicité n’était pas un vœu pieux: il était littéralement au cœur de la création.

Du tricot programmé

Aux défis créatifs sont venus se combiner les défis technologiques. Il fallait en effet développer un algorithme permettant de concevoir des produits réellement intéressants, qui puissent être créés via une expérience de quelques minutes sur le Web, achetés en ligne, envoyés à Lysanne par un fichier compatible, puis tricotés dans un délai raisonnable. Nicolas souligne le travail incroyable du programmeur attitré au projet: «La réalisation des motifs a été très complexe. Il y avait énormément d’options, considérant que chacun des choix que tu fais influence non seulement ton foulard, mais également l’autre que tu crées en parallèle. Il fallait générer cette conversation graphique entre les deux foulards, qui rend le projet si intéressant.»

Photo courtoisie de Dpt.

«C’était agréable d’avoir cette ligne d’inspiration pour définir les motifs. Finalement, il s’agit d’un paquet de décisions inconscientes qui te permettent de créer quelque chose de signifiant et d’unique. Je devais toutefois traduire les qualificatifs “chaos”, “vibrant” ou “harmonieux”, qui apparaissent dans l’expérience interactive, en formes et en mouvements. C’était franchement intéressant d’un point de vue créatif. Et l’équipe de Dpt. a été très patiente, parce que c’était dur à suivre des fois!» — Lysanne Latulippe

En plus de créer le rendu graphique, il fallait, pour la créatrice, trouver un moyen de programmer sa machine pour tricoter deux foulards qui pourraient être séparés en tirant sur un fil, sans se découdre. Pour les créateurs du numérique, les défis technologiques se matérialisaient instantanément dans le monde réel, pour une rare fois!

Photo courtoisie de Dpt.

SUPERSYMMETRY, l’expérience

On a l’étrange impression, en parlant aux créateurs, que le projet, dans sa forme actuelle, existait quelque part dans le cosmos avant qu’ils ne mettent la main dessus. De la composition de l’équipe à la prémisse jusqu’au résultat: tout fait du sens. On ne perçoit pas les compromis – comme c’est souvent le cas en expérimental – et le résultat est une idée aboutie, complète. Aucun compromis non plus pour le produit, un foulard unique en laine mérinos confectionné à Montréal, propre à l’expérience interactive vécue par l’utilisateur à un temps T, envoyé et tissé en un tour de machine, et qui fait son chemin de l’atelier de Lysanne à la porte de son cocréateur.

Une expérience numérique peu commune, un défi créatif assumé et une pièce franchement touchante à partager et à chérir.

Créez vos foulards sur: symmetry.stringtheory.co

L’équipe du projet

Le projet SUMPERSYMMETRY est en nomination aux NUMIX dans la catégorie Communications et promotions!


Anne-Marie Archambault
Anne-Marie Archambault est directrice stratégie et expériences de contenu chez Akufen. Versatile et centrée sur l'expérience-utilisateur, elle est la courroie de transmission entre le fond et la forme, entre la stratégie et l'émotion. Elle a travaillé comme pigiste de nombreuses années en télévision et en numérique, œuvrant au sein d'équipes créatives en expérimental et en interactif. Anne-Marie est fascinée par le processus de création, les mondes qui s'entrechoquent et les idées qui prennent vie.
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