Vice sur tous vos écrans

En 2007, Vice enregistrait des revenus de 28 million de dollars. Une décennie plus tard, l'entreprise était évalué à plus de cinq milliards de dollars. Analyse de la stratégie d’affaire de ce petit magazine montréalais devenu aujourd’hui un joueur incontournable sur la scène médiatique mondiale.

Dernière mise à jour: 29 janvier 2018

Rien ne semble pouvoir arrêter l’expansion de Vice, devenu en moins de vingt ans un véritableempire médiatique. La jeune compagnie compte aujourd’hui plus de 36 bureaux à travers le monde, un réseau de plateformes numériques, un studio de production, une maison de disque et une maison d’édition.

Elle se classe aussi désormais parmi les grands joueurs de l’industrie télévisuelle, notamment grâce à des partenariats conclus avec HBO et A&E. Et ce malgré les faibles cotes d'écoute de Viceland aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada (ce qui a sans doute joué un rôle dans la fin du partenariat entre Vice et Rogers en 2018).

Preuve de sa croissance fulgurante? Voici une impressionnante liste d’ententes conclues avec d’importants joueurs :

La marque qui plaît aux milléniaux

Le succès de Vice réside en sa capacité de rejoindre les jeunes auditoires, les mêmes qui, souvent, boudent les médias traditionnels. S’il demeure difficile d’obtenir des données exactes quant à la popularité du contenu Vice auprès des milléniaux (18-35 ans), chose certaine, celui-ci semble plaire à ce public convoité. Des données de comScore obtenues en 2014 par Digiday soulignent qu’aux États-Unis, près des deux tiers des internautes qui visitent vice.com sont des milléniaux.

Le style alternatif et surtout entièrement multiplateforme de Vice semble répondre au désir des milléniaux de consommer du contenu auquel ils s’identifient, et ce, peu importe le lieu ou le moment. Il faut dire que la compagnie mise avant tout sur le contenu et non le contenant.

« Cette génération se fout de l’écran sur lequel elle regarde une vidéo : la seule chose qui importe, c’est l’histoire racontée et un contenu de qualité », affirme Andrew Creighton, directeur créatif chez Vice.

La compagnie entend bien maintenir cette approche en migrant du mobile au grand écran, notamment grâce à son partenariat avec 20th Century Fox.

L’authenticité véhiculée par les collaborateurs de Vice est aussi une caractéristique très appréciée des milléniaux. « Leur attrait est entre autres attribuable au fait que ce ne sont pas des correspondants chevronnés », explique le consultant chez Vice et ancien PDG de Viacom Tom Freston.

Comme nombre de ses employés, la figure de proue de Vice Shane Smith s’implique aussi personnellement dans des causes ou des événements liés au contenu qu’il crée. Ainsi, lors du lancement de son documentaire « Killing Cancer » sur HBO, il a participé directement à une campagne de financement pour le centre de recherche Mayo Clinic en s’engageant à verser un dollar pour chaque don d’un dollar reçu, à concurrence d’un million $.

Or, la Mayo Clinic a récolté au-delà de deux millions de dollars et croit que l’appel a clairement été entendu par les milléniaux, puisque le centre affirme ne jamais avoir autant reçu de dons en ligne.

Ce succès valide les propos d’Erin McPherson, chef de contenu chez Maker Studios : pour rejoindre les milléniaux, « la nouvelle norme, c’est l’authenticité ».

Pas de Vice sans vertu

Un atout indéniable de Vice est son agence interne de publicité et de marketing appelée Virtue Worldwide. Cette branche « vertueuse » d’un média pourtant connu pour son contenu irrévérencieux a été lancée en 2006 dans le but « d’aider les marques mondiales à identifier de nouvelles façons de communiquer avec un public plus jeune ».

Les frontières sont plutôt poreuses entre les deux entités. En effet, la centaine d’employés de Virtue Worldwide travaille en étroite collaboration avec les employés de Vice pour servir les intérêts de grandes corporations telles que Coca-Cola, AT&T, Dell, Intel et Chanel. Shane Smith affirme par contre qu’aucun programme de Vice n’a été modifié à la demande d’un client.

Le modèle mis de l’avant par Virtue est celui de la création de contenus qui intéressent l’auditoire visé. Vice estime qu’il ne s’agit pas de contenu de marque, mais bien de contenu commandité par des marques.

Pour Intel, par exemple, Vice a produit une série documentaire sur la technologie intitulée « Motherboard ». Le logo d’Intel est incorporé dans celui de la série, mais n’apparaît jamais directement sur les produits présentés. Même principe pour la série « Behind the Sound » créée en partenariat avec Bose.

Shane Smith estime que cette façon de faire est beaucoup plus transparente que le placement de produit et, surtout, plus engageante que la publicité traditionnelle.

« L’engagement de l’auditoire est désormais possible parce que les marques en sont venues à réaliser qu’il leur était possible d’entretenir une communication enrichie et plus significative avec leurs consommateurs, » affirme-t-il. « Or, ce genre de lien n’est pas possible avec un spot télé de 30 secondes, ni avec une pub radio, ou encore un panneau extérieur. Il n’est possible qu’en créant du contenu que notre auditoire apprécie. »

Une offre alléchante pour les investisseurs

Alors que Vice multiplie les partenariats et les nouveaux contenus, sa valeur est elle aussi en pleine croissance. Elle est passée de 1,4 milliard $ en 2013 à 2,5 milliards $ en 2014, puis à 5,5 milliards en 2017.

D’ailleurs, la question d’une possible introduction en bourse est sur les lèvres de nombreux investisseurs. Questionné à ce sujet lors de la rencontre annuelle de l’entreprise londonienne WPP, Shane Smith a indiqué qu’il évaluait en ce moment trois options :

  1. Demeurer indépendant, et ce, malgré la pression de certains actionnaires;
  2. Vendre l’entreprise;
  3. Opter pour une introduction en bourse. Smith affirme qu’il s’agit d’une option risquée et qu'il faut avoir des revenus solides.

Peu importe l’avenue choisie, le PDG de Vice demeure très optimiste quant à l’avenir de l’entreprise. « J’affirmais toujours que nous allions devenir un amalgame de MTV, CNN et ESPN, dit Smith. « Or, compte tenu de l’envergure du web, nous serons en fait dix fois plus gros. »

Le succès de Vice, notamment en ce qui a trait à son contenu journalistique et documentaire, prouve que les jeunes générations s’intéressent toujours aux nouvelles et aux affaires publiques, surtout lorsqu’elles sont présentées de manière personnelle et subjective. Les grandes salles de nouvelles traditionnelles semblent avoir entendu ce message comme le prouve le lancement d'initiatives telles que Rad de Radio-Canada,


Gaëlle Engelberts
Ancienne journaliste à la télévision de Radio-Canada, Gaëlle Engelberts est la coordinatrice éditoriale de FMC Veille. En parallèle avec son travail de recherche et d’édition au sein de l’équipe de veille stratégique du Fonds des médias du Canada, elle a récemment terminé une maîtrise en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) portant sur les nouvelles formes narratives en journalisme et en documentaire, notamment les webdocumentaires interactifs et les jeux sérieux.
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