Netflix au Canada: de la conquête à la riposte

L’an prochain marquera les dix années de Netflix en sol canadien, une présence qui a eu l’effet d’une bombe dans le paysage audiovisuel au pays. Retour sur les conséquences de son arrivée et les efforts qui se sont organisés depuis.

Fondée en 1997, la société de Reed Hastings a mis peu de temps à connaître un essor fulgurant. D’abord simple locateur de DVD, Netflix s’est imposée comme la plus importante plateforme de visionnement de films et de séries en ligne. Plus de 20 ans plus tard, la voilà à la tête du classement 2018-2019 des entreprises américaines à la croissance la plus rapide, établi par Brand Finance, une firme de consultation mondiale évaluant les marques.

Une partie de cette croissance repose sur sa stratégie d’internationalisation, qu’elle a déployée en 2010, avec le Canada en première ligne de mire.

Défricher un marché

Le territoire canadien du contenu en ligne était pratiquement inhabité lorsque le géant a décidé d’y planter son drapeau.

Les grands joueurs qui dominaient alors le paysage médiatique – soit Bell, Corus, Québecor et Rogers – de même que le radiodiffuseur public CBC/Radio-Canada offraient tous des services «traditionnels» de télévision, à l’exception de la société d’État qui venait de lancer la plateforme Web francophone Tou.tv.

En à peine trois trimestres au Canada, Netflix a réussi à convertir 803 000 Canadiens, rapporte La Revue des médias. Cinq ans plus tard, elle comptait déjà 41% de la population canadienne parmi ses abonnés (CRTC 2016, fondé sur un sondage mené par l’OTM à l’automne 2015). Cette popularité s’explique en partie par la langue et la proximité géographique que partagent les auditoires américains et canadiens.

La pénétration dans le marché francophone au pays a toutefois été plus timide au départ, notamment en raison du manque de contenus francophones: seulement 3% des Canadiens francophones étaient abonnés à ce service en 2011.

L’effet boule de neige

L’arrivée de Netflix a également provoqué des changements dans la consommation médiatique des Canadiens. Les services par contournement ont gagné du terrain sur les services de télévision traditionnels comme le câble ou la télévision par satellite. Les revenus provenant de ces services ont diminué de 5% pour s’établir à 6,9 milliards, tandis que ceux des services par contournement ont augmenté de 21,3% pour atteindre 2,4 milliards de dollars, selon le Rapport de surveillance des communications 2017 du CRTC. Des 3% de francophones qui utilisaient ce nouveau service, ils sont maintenant 45% abonnés à ce type de service, comme le montre l’enquête de l’OTM, menée en avril et mai 2018.

Sans surprise, ce sont les Canadiens de moins de 30 ans qui ont adopté le plus rapidement cette façon de consommer: 45% d’entre eux se sont désabonnés du câble ou n’ont jamais été abonnés, révèle GlobalWebIndex. Un pourcentage qui diminue avec l’âge.

La réplique

En plus de voir leurs parts de revenus diminuer au profit de Netflix, les joueurs d’ici craignaient pour la survie de la culture canadienne et déploraient que l’entreprise américaine n’ait pas à payer de taxes sur ses produits, d’impôt et de redevances pour financer la production locale.

Devant toutes ces répercussions, les acteurs liés au secteur de la radiodiffusion se sont réunis lors de la série d’audiences publiques Parlons télé, organisée par le CRTC en 2013 et 2014. Parmi eux, YouTube, Disney, Netflix, Google, la Société Radio-Canada, mais aussi des groupes de défense des consommateurs, des représentants de créateurs, des producteurs et d’autres membres institutionnels.

De nombreuses décisions ont été prises à la suite de ce processus, mais aucune ne portait alors sur la réglementation de Netflix.

Pendant cette même période, les grands acteurs médiatiques d’ici, Bell, Rogers, Corus, Vidéotron et CBC/Radio-Canada, se sont retroussé les manches pour offrir des services de télévision en ligne sur des plateformes.

Vidéotron a ainsi proposé Club Illico dès 2013. Bell lançait pour sa part Crave TV en 2014, suivi d’Alt TV en 2017, où les contenus sont distribués par le Web, sans nécessité de récepteur. Tou.tv a emboité le pas avec sa version payante en 2014, avec le forfait Extra. Le diffuseur public a également conclu des ententes avec d’autres chaînes francophones – notamment avec Groupe V, Bell Média, TV5 Québec Canada et l’Office national du film. – pour y présenter ses contenus.

Corus Entertainment, détenu par J.R. Shaw, a choisi de son côté de ne pas mettre l’accent sur un seul service de vidéo sur demande, mais plutôt de proposer des séries de HGTV, Slice et Food Network sur d’autres plateformes numériques comme le câble, le satellite et les chaînes de vidéos à la demande de fournisseurs de télévision sur IP.

Deux récentes initiatives ont également vu le jour. Après le lancement de Shomi en 2014 en collaboration avec Shaw – et sa mort en 2016 –, Rogers a lancé Ignite en 2018.

CBC Gem a aussi été annoncée en décembre 2018, une plateforme qui s’apparente à celle de Tou.tv et qui entend offrir plus de 4 000 heures de programmation gratuite en direct et sur demande.

De plus, la plupart des différentes chaînes au pays offrent maintenant un catalogue de contenus en ligne.

Malgré toutes ces initiatives, le dernier sondage de GlobalWebIndex montre que Netflix est indétrônable parmi les services de télévision par contournement utilisés pour regarder des contenus vidéos. Ainsi, 59,2% des répondants le choisissent, contre 10,4% pour Crave TV, 4,9% pour Club Illico et 4,4% pour Tou.tv Extra.

Tous ces efforts des joueurs canadiens ne sont tout de même pas vains. Un rapport de décembre 2018 sur le désabonnement au câble (cord-cutting en anglais) révèle qu’environ les trois quarts des foyers canadiens utilisent encore des services de télévision traditionnels comme le câble ou la télévision par satellite.

Toujours selon GlobalWebIndex, le Canada occupe la 9e place au monde en matière de consommation de télévision linéaire, particulièrement chez les consommateurs francophones.

L’opération séduction de Netflix

Durant toutes ces années, Netflix a continué d’améliorer sa plateforme, notamment en doublant son offre de séries de fiction originales dès 2016, en plus de proposer une version doublée en français dès la sortie de ses émissions, venant ainsi concurrencer directement les groupes médiatiques francophones, qui avaient initialement été un peu épargnés.

C’est en septembre 2017 que le gouvernement canadien a dévoilé sa politique culturelle, qui comprenait une entente avec l’entreprise américaine. Netflix s’engageait, entre autres, à créer une compagnie de production au Canada et à investir 500 millions sur cinq ans pour la production d’émissions ou de séries canadiennes et 25 millions pour le développement du marché francophone. Taxes, impôt et redevances n’étaient pas abordés dans cet accord.

Depuis, Netflix a rencontré plusieurs producteurs pour développer du contenu canadien, mais a aussi appuyé certaines initiatives, dont la création d’un pôle dédié à la production à Toronto et le financement d’un programme de perfectionnement des scénaristes avec l’École nationale de l’humour à Montréal. En 2018, la valeur de la production de contenu canadien se chiffre à 3,04 milliards de dollars contre 4,77 milliards de dollars pour les productions étrangères, selon le rapport Profil 2018: rapport économique sur l’industrie de la production de contenu sur écran au Canada.

La société de Reed Hastings a néanmoins procédé à la fin de 2018 à une hausse de ses tarifs pour financer des séries télévisées et des films, a-t-elle affirmé.

L’empire de Netflix au Canada pourrait en effet être menacé par l’arrivée prochaine de géants comme Disney et Apple qui se lanceront dans le marché de la diffusion en continu, sans compter la concurrence livrée par des joueurs canadiens. Ces derniers seront cette fois mieux préparés pour contrer ces nouveaux envahisseurs.


Catherine Martellini
Créatrice de contenu multiplateforme, éditrice et journaliste, Catherine Martellini a collaboré à de nombreux médias et publications culturelles. Plus récemment, elle agit comme collaboratrice spéciale au journal Le Devoir et à Infopresse, un média spécialisé en communication, marketing, numérique et leadership où elle a également occupé le poste de rédactrice en chef.
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