À la rencontre de Jérémie Battaglia

Peu de documentaires ont attiré autant l’attention cette année qu’Adonis, qui met en lumière l’obsession du corps parfait chez les garçons. On doit ce film coup de poing à Jérémie Battaglia, un cinéaste de 41 ans natif du sud de la France, qui vit au Québec depuis 2009. Cofondateur de la maison de production Extérieur Jour, le documentariste s’intéresse depuis longtemps au rapport du corps avec la performance, les carences personnelles et les pressions sociales.
La prémisse d’Adonis part d’ailleurs de son vécu. Victime d’intimidation à l’école, il a lui-même attaqué la salle de musculation pour en imposer davantage. Habituellement, le réalisateur évite de se mettre de l’avant dans ses films, mais raconter sa propre expérience lui a permis de gagner la confiance de ses protagonistes et d’éviter qu’ils se sentent jugés.
« C’est la première fois que j’entendais des jeunes hommes parler comme ça, avoue Jérémie Battaglia. Je me suis rendu compte que, quand on parlait des hommes, on parlait avant tout des problèmes causés par les hommes. Ces jeunes-là ont la perception qu’on parle d’eux uniquement lorsqu’ils causent des problèmes ou sont violents. Ce tournage leur a permis de se confier franchement sur qui ils sont et sur ce qu’ils ressentent. Je pense que c’est pour ça aussi que le film a eu un tel impact. »
Jérémie Battaglia s’étonne qu’aussi peu d’artistes masculins s’intéressent aux hommes. En particulier à l’ère des réseaux sociaux, dont l’influence démesurée est bien mise en évidence dans le film — un phénomène qu’il juge des plus inquiétants. Le décalage entre la vraie personnalité des garçons d’Adonis et l’image qu’ils projettent en ligne l’a particulièrement renversé.

Pour bien départager l’être du paraître, il avait toutefois un atout précieux : le temps. Grâce à l’appui de Télé-Québec et des institutions, dont le Fonds des médias du Canada, Jérémie a pu bénéficier d’une vingtaine de jours de tournage. Un luxe en documentaire.
« Ça fait une énorme différence, surtout dans le cadre d’un projet télé. Ça permet de développer une approche d’auteur, avec une réalisation intéressante, d’avoir un sujet qui soit fort sans avoir l’impression d’avoir vu ce film plein de fois. Parfois, on n’a que huit jours au total… Là, j’ai pu prendre quatre jours juste pour les entrevues à la caméra. C’est le jour et la nuit. »
Quand il en a la possibilité, Jérémie Battaglia peut même consacrer des années à un seul sujet. C’est le cas de son prochain film, Une jeunesse française, qu’il a tourné pendant près de cinq ans avec de jeunes Maghrébins dans les arènes de Camargue, en France. La sortie en salle est prévue cet hiver. Fort de l’accueil réservé à Adonis, nommé cinq fois au prochain Gala des prix Gémeaux, il planche déjà sur un autre documentaire pour Télé-Québec. Et ce n’est pas son seul projet en tête. Le monde est une source inépuisable d’inspiration.
« Ce qui me fascine dans le documentaire, c’est qu’on a la chance d’accéder à des vies, à des façons de voir le monde auxquelles on ne pourrait jamais avoir accès autrement. Dans l’essence même du documentaire, il y a cette idée d’aller à la rencontre de l’autre. De pouvoir me mettre à la place de quelqu’un et de comprendre la vie de son point de vue, je trouve que c’est vraiment une chance inouïe. »