L’audience comme monnaie d’échange : six faits sur la propriété intellectuelle 

Dans sa plus récente publication Perspectives, le Fonds des médias du Canada (FMC) explore comment la propriété intellectuelle (PI) et les audiences peuvent renforcer l'industrie face aux pressions commerciales mondiales. 

Dans son numéro de printemps 2025, L’audience comme monnaie d’échange, l’équipe Prospective et innovation du FMC continue de se pencher sur les secteurs de l’audiovisuel (AV) et des médias numériques interactifs (MNI). Cette fois-ci, elle se concentre plus précisément sur la propriété intellectuelle (PI).  
 
À partir d’une analyse de marché et des études de cas d’ici et d’ailleurs, elle démontre comment la relation entre la PI et les audiences peut offrir des stratégies aux acteurs de l’industrie pour rayonner à l’international.  

Que ce soit en misant sur des marchés mal desservis ou en exploitant différentes plateformes, ces stratégies sont d’autant plus pertinentes pour faire croître les industries de l’AV (films, séries, etc.) et des MNI (jeux vidéo, réalité virtuelle), qui subissent des perturbations, en plus d’être soumises aux pressions commerciales avec les États-Unis. 

En collaboration avec l’analyste du FMC Corinne Darche et des partenaires de recherche du cabinet international d’experts-conseils Nordicity, l'équipe s’intéresse à un cadre de PI capable de repenser la « chaîne de valeur de production », c’est-à-dire l’ensemble des étapes dans la création d’un produit. 

Voici six conclusions à retenir. 
 

1. La PI, une stratégie de développement d’audience 


Dans le modèle actuel, les créateurs vendent leur contenu aux plateformes de distribution, qui, à leur tour, vendent l’accès au contenu aux audiences. Toutefois, avec la multiplication des contenus et l’évolution des plateformes de distribution au cours des deux dernières décennies, la relation entre les publics et le contenu ne cesse d’être remodelée. 

Les audiences peuvent choisir individuellement quand, où et quoi regarder… sans limites géographiques ni culturelles. Elles se tournent donc vers des contenus qui résonnent véritablement avec leurs intérêts. 
 
Pour se démarquer dans « ce paysage médiatique fragmenté et saturé », les créateurs ne doivent pas produire un plus grand nombre de contenus. Ils doivent plutôt créer LE bon contenu : celui qui a déjà conquis un large public.  

« L’audience est la clé pour percer à l’échelle internationale, souligne Jon Montes, responsable de la recherche au sein de l’équipe Prospective et innovation du FMC. Et les stratégies axées sur la propriété intellectuelle peuvent [les] aider à atteindre et à élargir [leurs] audiences. » 

Mais, alors, « comment la propriété intellectuelle peut-elle être développée en parallèle avec les audiences afin de positionner les créateurs et les producteurs sur la voie du succès ? » se demande Jon Montes.  
 
Une partie de la réponse se trouve dans le modèle de développement des jeux vidéo, où la validation par la communauté et l'engagement direct avec les (futurs) joueurs font souvent partie des premières étapes du prototypage via différents canaux : médias sociaux, logs de développement, infolettres, versions alpha/bêta, et bien d’autres. 

Dans le secteur de l’AV, ces canaux numériques sont moins souvent utilisés pour valider l'utilité de la propriété intellectuelle. Ils méritent toutefois d’être explorés parce que développer un contenu tout en allant chercher un public augmente les chances de succès de la production à la distribution. 
 

2. La propriété intellectuelle donne plus de poids aux créateurs 

Les créateurs qui investissent dans la relation avec l’audience se trouvent dans une meilleure posture quand ils amènent leur contenu sur le marché. Ceux qui s’engagent activement dans la recherche et la fidélisation des publics, le marketing et la promotion de leur PI sont aussi mieux placés pour négocier avec les plateformes. 

Et si leur objectif est d’implanter une entreprise durable dans le secteur de l’AV ou celui des MNI, ils doivent aussi développer cette relation pour une raison évidente : les plateformes ont la capacité d'attirer et de monétiser les audiences. 

Mais à quoi ressemblerait le financement? Plutôt que le modèle actuel qui soutient la production de contenu projet par projet, Jon Montes croit que financer le « développement de la PI indépendante de la plateforme » pourrait offrir une certaine stabilité aux sociétés de production. En effet, les entreprises pourraient « développer une PI informée par les audiences pour qu’elles puissent créer du contenu qui répond aux besoins de ces audiences sur les bonnes plateformes. » 

Pour y arriver, il reste encore du travail à faire. « Certains programmes commencent à adopter cette approche, bien qu’elle soit encore émergente, précise Jon Montes, conscient que plusieurs questions demeurent sans réponse. Comment ce nouveau modèle de financement pourrait-il fonctionner? Quels en seraient les critères? Il n’existe pas d’approche universelle. » 

Le soutien au développement de la propriété intellectuelle se fait actuellement par le Programme pilote de développement d’un ensemble de projets du FMC et le Programme de soutien à la croissance de sociétés de jeux vidéo de Creative BC-FMC. Vous pouvez en apprendre davantage dans la section Nouvelles approches en matière d’investissement dans le développement.

3. La PI au-delà des frontières géographiques, linguistiques et culturelles : les leçons de la Corée 

Une propriété intellectuelle peut-elle rejoindre une communauté à l’international? Absolument. Les exportations de médias sud-coréens, et plus spécifiquement les webtoons, sont des exemples de PI efficaces. 
 
Originaires de Corée du Sud, ces bandes dessinées numériques, adaptées au téléphone intelligent, sont généralement publiées en épisodes réguliers sur des plateformes. Mises en ligne par des créateurs indépendants qui réalisent, partagent et monétisent leur travail à l’international, elles représentent un moyen accessible et peu risqué d’interagir avec les audiences. Elles bouleversent l’approche traditionnelle de production, où les grands studios de développement, les sociétés de production, les distributeurs et/ou les éditeurs donnent le feu vert au contenu.

Les webtoons Tower of God et All of Us are Dead ont été le point de départ de certaines des propriétés intellectuelles les plus populaires du pays. (Lisez tous les détails dans la section Le K-content et d’autres modèles de développement d’audience.)

Ces BD à succès démontrent comment l’engagement envers un public peut transcender les frontières géographiques, linguistiques et culturelles. Un contenu riche et authentique peut rejoindre tout le monde à condition que son récit véhicule des thèmes universels.  

4. PI authentique veut dire opportunité mondiale : les leçons de Kim’s Convenience et En quelque sorte 

Lorsqu’elle est authentique et représentative de la réalité d’une communauté sous-représentée, la PI peut rejoindre un large public, ici comme ailleurs dans le monde.  
 
Le cas de Kim’s Convenience l’illustre parfaitement. À l’origine, Kim’s Convenience est une pièce de théâtre inspirée de la vie de son créateur, le Canadien d’origine coréenne Ins Choi, présentée au Toronto Fringe Festival et au Soulpepper Theatre. Forte de son succès, elle a été adaptée en série télévisée de 30 minutes sur CBC, avant d’être présentée sur Netflix. 

Kim's Convenience. Crédit photo: Thunderbird Entertainment

Sur CBC, Kim’s Convenience a rejoint un peu moins d’un million de téléspectateurs par épisode. Durant sa diffusion, de 2017 à 2021, la comédie a suscité un intérêt huit fois plus élevé que celui d’une autre émission canadienne, selon Parrot Analytics, et a conquis de nouveaux publics d’une saison à l’autre.  

La série En quelque sorte (Sort Of, en version anglaise originale), qui met en vedette un millénarial sud-asiatique au genre fluide, est un autre bon exemple. Pour en savoir plus sur ces deux cas de figure, consultez la section Représentation locale, public international

« Notre industrie est bien placée pour profiter de cette opportunité de croissance, pense Jon Montes. Les marchés sous-exploités ont un potentiel d’exportation. Et c’est très clair que le talent canadien peut les atteindre. » 

En quelque sorte. Crédit photo: Sphère Média

5. Le « transmédia » offre de nouvelles pistes pour capter l’attention des jeunes 

Né dans les années 2010, le « transmédia » est une narration qui n’est pas liée à un seul support ; les histoires sont plutôt construites sur l’interaction entre les plateformes traditionnelles, généralement de diffusion, et les plateformes numériques. Autrefois une stratégie émergente, les créateurs d’aujourd’hui l’ont pleinement adoptée.  
 
Les jeunes sont immergés dans le monde numérique depuis leur naissance. Comprendre comment les enfants et les adolescents consomment du contenu sur les différentes plateformes peut donc aider les créateurs à prévoir les comportements futurs de ces audiences.   
 

Habitués à mélanger leur vie en ligne et leur vie réelle, ils sont réceptifs aux contenus qui leur proposent à la fois du divertissement et des échanges avec leur communauté.  En ce sens, les croisements et les interactions entre plateformes sont des stratégies clés pour capter l’attention de publics jeunes et potentiellement les élargir.  

Pour connaître les habitudes de consommation des jeunes, consultez les données de l’Observateur des technologies médias (OTM) et du Pew Research Center dans la section Quels contenus les enfants et les adolescents regardent-ils aujourd’hui, et comment?

6. La PI et le contenu généré par les utilisateurs (CGU) 

Bien présents sur les plateformes de contenu généré par les utilisateurs (CGU), comme YouTube ou Roblox, les créateurs numériques sont devenus particulièrement populaires auprès des jeunes parce qu’ils favorisent un sentiment de communauté avec leur public. Grâce à leur influence, ils parviennent à étendre leur propriété intellectuelle sous différentes formes et à adapter leur contenu à diverses audiences. Parfois, ils arrivent même à déplacer les publics des plateformes numériques vers des contenus audiovisuels plus traditionnels. 
 
Ryan’s World en est un bon exemple. Cette chaîne YouTube, où le jeune Ryan Kaji faisait des critiques de jouets pour enfants, est devenue une grande société de production de contenus pour enfants et adolescents, allant de l’animation aux vidéos éducatives. En 2024, la PI a donné naissance à Ryan’s World the Movie: Titan Universe Adventure, un film mariant animation et prises de vue réelles dans lequel Ryan plonge dans une BD de superhéros pour sauver ses sœurs jumelles. 

Découvrez d’autres cas de figure, comme Piñata Smashlings, dans la section La narration pour les enfants et les jeunes n’est pas limitée par le support

En s’appuyant sur la façon dont les jeunes audiences interagissent aujourd’hui avec le contenu, la stratégie d’interactions multiplateformes devrait continuer à séduire les audiences futures. « Les enfants représentent les publics de demain, et leur vie risque de demeurer numérique », constate Corinne Darche. [Notre industrie] doit donc adapter ses stratégies d’engagement en ce sens. » 


Laura Beeston
Laura Beeston est rédactrice, éditrice et stratège de contenu originaire de Winnepeg. En plus de 10 ans de création médiatique, elle a travaillé sur une variété de projets, et a notamment été journaliste de nouvelles pour The Winnipeg Free Press, The Montreal Gazette et The Toronto Star, et journaliste artistique pour le Globe and Mail. Elle est conseillère média et mentor chez The Link.
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