Reprendre, autrement

Téléchargez ce rapport

FMC RapportTendances Cover FR H

Introduction

Ce rapport des tendances 2021 ne ressemble à aucun des huit autres rapports que nous avons produits dans le passé. Il est le fruit d’une année de réflexions que nous avons tous eu à faire dans le contexte inédit d’une pandémie mondiale. Il est à l’image de l’année qui le précède, ou tout a dû être remis en question. Comme tous ceux qui ont été contraints de revoir leurs manières de faire les choses, nous sommes donc revenus à la table à dessin. Ralentir pour mieux écouter. Profiter du chaos pour tout revoir, tout repenser, tout reconstruire.

Nous avons voulu faire un rapport des tendances plus ouvert aux points de vue différents, plus inclusif, plus empathique. Si nous souhaitions aborder les enjeux de racisme envers les communautés afrodescendantes ainsi que d’autres formes de discrimination systémique, il nous paraissait essentiel d’oxygéner le débat avec des idées venues d’ailleurs. Nous avons discuté, épilogué, analysé l’actualité de la dernière année à l’aide d’expertes aux compétences et connaissances variées et complémentaires. Elles nous ont aidés à sortir de notre homogénéité et à définir les thèmes qui restent parfois dans notre angle mort.

Vous retrouvez ici le fruit de centaines d’heures de veille, d’analyse et de concertations. Ce rapport n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions que l’étrange année que nous venons de vivre a soulevées. Mais on y trouve de la résilience, de la détermination et de l’espoir. Nous avons retourné toutes les pierres pour mieux comprendre les enjeux du moment, aussi complexes soient-ils.

Une grande équipe de rédacteurs et d’illustrateurs de partout à travers le pays sont partis à la recherche de solutions et d’inspiration pour permettre à tous ceux qui participent à l’industrie de l’audiovisuel d’y voir un peu plus clair. Que ces pages vous servent de lanterne pour explorer des territoires inconnus, qu’elles vous inspirent à raconter vos plus belles histoires, qu’elles vous permettent de faire jaillir le beau dans les fissures que la pandémie a exposées, qu’elles vous aident à reprendre, autrement.

CATHERINE MATHYS, Directrice de la veille stratégique

1 - Auditoire captif

FMC RapportTendances Chapitre1 FR 1

PAR CATHERINE MATHYS, Directrice de la veille stratégique

En 2020, nos vies ont changé, notre quotidien s’est transformé. Nos habitudes de consommation média, elles aussi, se sont adaptées au confinement et au télétravail. Nos routines ont été chamboulées, on a passé beaucoup moins de temps dans les transports, et beaucoup plus de temps devant nos écrans. Vive la fabrication de pain et les rendez-vous sur Zoom en cotons ouatés!

Cela dit, ces changements sont arrivés abruptement. Du jour au lendemain, on a dû gérer les longues heures sans école des enfants, apprendre à travailler en équipe à distance, partager les écrans de la maison avec tous les autres membres de la famille qui n’ont ni les mêmes besoins ni les mêmes intérêts. C’est probablement ce qui explique que «Baby Shark» soit devenue la vidéo la plus visionnée sur YouTube l’an dernier (mes excuses pour le ver d’oreille). Ces nouvelles occasions de co-visionnage vont-elles laisser des traces sur nos habitudes de consommation?

Les frontières entre le travail et les loisirs se sont peu à peu brouillées et on a cherché à se consoler de l’absence de nos proches et de nos amis avec toutes sortes de contenus. Ensemble mais séparés, on a visionné des films, des séries, on a joué à des jeux vidéo. Les connexions virtuelles sont venues compenser la distanciation physique imposée par la pandémie mondiale. Les contenus eux-mêmes sont un peu aussi devenus nos compagnons, pour nous aider à braver cette tempête. Et on prenait tout, les comédies, les drames, les jeux, les documentaires. On est devenus boulimiques du meilleur contenu en ligne pour oublier, pour s’évader, mais aussi pour comprendre. Allons-nous continuer de nous abonner à autant de services, à rechercher autant de contenu diversifié?

Pendant la pandémie, on a cherché à comprendre ce qui se passait dans le monde, à comprendre ce qui se passait chez nous, dans nos provinces, nos villes, nos communautés. On a aussi voulu comprendre qui était l’autre. Et il était grand temps. C’est sans doute l’un des plus grands legs de ce grand choc mondial.

1.1 - En mode résilience

Work From Home (1)
Crédit: Nandita Ratan

Redéfinir le quotidien en temps de pandémie

Pour le meilleur ou pour le pire, l’année 2020 est synonyme d’adaptation aux changements, de télétravail, d’exode urbain, de rencontres virtuelles à toutes les sauces et d’une réorganisation entourant la garde et la scolarité des enfants.

PAR OUMAR SALIFOU

Collaboration au dossier: LAURA BEESTON

Karen Unland était en train d’enregistrer un balado dans son bureau lorsque la pandémie a frappé et l’incertitude s’est installée.

Avant que tout ne s’arrête, «je [n’ai même pas] eu à penser à ce qui se passait parce que j’essayais de finaliser plein de projets avec un échéancier très serré», raconte la cofondatrice de Taproot Publishing, qui dirige Taproot Edmonton.

Soudainement, le choc de la réalité la rattrape: puisque ses enfants seront à la maison, l’école s’y fera aussi.

La famille à l’heure de la COVID-19

Être parent en pleine pandémie, c’est élever ses enfants, faire l’école à la maison, travailler en ligne et gérer le climat d’anxiété causé par la crainte de la maladie. Cet exploit, les parents canadiens y font face depuis déjà un an.

«C’est difficile pour moi de n’être qu’en mode travail, admet Karen. Je dois diviser mon attention.»

Elle n’est pas la seule. Selon un sondage de Statistique Canada, 74 % des parents ont indiqué se sentir très ou extrêmement préoccupés par la conciliation famille-travail- éducation des enfants.

Si Karen a réussi à composer avec l’horaire exigeant de son entreprise, une jeune pousse dans le domaine des médias, et ses obligations familiales, c’est parce qu’elle a eu le «privilège de pouvoir compter sur son enfant aîné, qui était prêt à aider le cadet de la famille avec l’école et les devoirs», mentionne-t-elle. «J’ai un tuteur à la maison.»

«Si j’avais dû en plus motiver mon fils à réussir sa dixième année, je serais dans une tout autre posture.»

Heureusement, il existe d’autres ressources pour encadrer le travail à la maison. L’Agence de la santé publique du Canada gère le programme de soutien aux parents Y’a personne de parfait, offert dans tout le pays par le biais d’organismes locaux.

De plus, la Société canadienne de psychologie a conçu une fiche d’information pour aider les parents à structurer le quotidien à la maison en insistant sur l’importance de la routine, de la planification de pauses et sur la nécessité d’établir des limites claires avec les autres membres de la famille ou les collègues de travail.

Pour David Baeta, producteur délégué de Moi & Dave à Toronto, pour continuer son travail de production tout en élevant trois enfants de 10, 8 et 2 ans, il a fallu diviser les responsabilités parentales, utiliser un calendrier et, à l’occasion, «participer à des vidéoconférences [avec] un bébé sur les genoux.»

Nous nous sommes tous adaptés. «Au début, ça n’a pas été facile, mais au fil des jours, j’ai appris à faire face à l’adversité, dit-il. Le secret: savoir surfer sur la vague et avoir un horaire qui permet de concilier la charge de travail et la vie familiale.»

David Baeta a désactivé les notifications de son cellulaire, qu’il laisse dans une autre pièce lorsqu’il s’assoit à la table de la salle à manger. «Ça aide d’avoir un espace distinct où l’on peut s’isoler physiquement dans la maison», conseille-t-il. «Je m’installe au sous-sol pour travailler. Lorsque je remonte, je laisse le travail derrière moi. Ça envoie aussi un signal aux enfants.»

Une étude menée en 2020 par l’Institut Vanier de la famille arrive à la conclusion qu’à plus long terme, «les effets et les réalités de la pandémie mondiale sont encore méconnus». Mais les chercheurs sont optimistes:

«Les familles sont les institutions les plus propices à l’adaptation dans le monde. Elles sont résilientes, diversifiées et fortes.»

La culture du travail (et de l’écran) en transformation

Selon Statistique Canada, près de 40 % des Canadiens ont travaillé à la maison en mars, contre seulement 10 % en 2018.

Le concept d’infiltration du travail dans la vie privée (job creep) — ou l’idée que le travail puisse s’insinuer dans la vie d’une personne à toute heure — existait certes avant la pandémie, mais le travail à la maison a amplifié le phénomène.

Après plusieurs mois de pandémie, Microsoft a analysé les données sur son personnel travaillant nouvellement à distance et a découvert que les gens étaient en moyenne «disponibles» quatre heures de plus par semaine. Les cadres supérieurs, quant à eux, collaboraient avec leurs collègues huit heures et plus par semaine, et le temps qu’ils ont consacré aux appels a doublé, passant de 7 h à 14 h par semaine. «Les gestionnaires ont envoyé 115 % plus de messages instantanés en mars, tandis que les employés non-cadres en ont envoyé 50 % de plus.»

Microsoft a également indiqué «qu’un quart de travail de soir s’est implanté, les messages instantanés envoyés de 18 h à minuit ayant augmenté de 52 %».

Voilà qui ne surprend pas David Baeta. À mi-chemin dans un projet de documentaire et en train de ficeler une émission de télévision pour enfants, «je travaille [encore plus], même si c’est incontestablement en petites bourrées, mentionne-t-il. Le travail ne s’étale plus de 9 h à 17 h, je fais ce que je peux çà et là, à toute heure.»

Les limites s’estompent et ne sont plus régies par les mêmes paramètres que ceux qui régnaient dans les espaces de bureaux physiques. Qui plus est, nous travaillons et nous nous divertissons à l’aide des mêmes technologies, souvent jour et nuit. (À l’échelle mondiale, le nombre moyen d’heures passées à visionner du contenu diffusé en continu a crû de 57 % par rapport à l’an dernier.

Les technologies émergentes pourraient empiéter encore davantage sur notre espace physique puisque les plateformes de réalité virtuelle (RV) professionnelles comme Vive Sync, en cours de développement, permettront à des équipes de collaborer grâce à des casques-micros connectés en mode RV.

Il n’est donc pas surprenant que la fatigue liée à l’écran se soit bien implantée dans nos vies. Pour sa part, Karen Unland évite de passer du temps devant son ordinateur ou la télévision: «De plus en plus, dit-elle, si je n’ai pas à regarder un écran pour le travail, je préfère éviter de le faire.»

La dynamique du travail en collaboration a elle aussi changé sans équivoque, et de manière substantielle.

«J’ai hâte de pouvoir faire les choses en personne», précise David Baeta, qui se fait un devoir «d’appeler ses collègues au téléphone» et d’envoyer des lettres par la poste, lui qui a même déposé une caisse de six bouteilles de bière sur le pas de la porte de son associé.

«La spontanéité n’y est pas… C’est chouette de se retrouver dans une même pièce et de pouvoir [se parler de vive voix] pour apporter des clarifications à un projet.»

La pandémie a également changé la donne pour ceux qui travaillent «dans le vrai monde». Sur un plateau de tournage, par exemple, «nous avons élaboré toutes sortes de stratégies, de plans B [et] de protocoles», explique-t-il. «Il a fallu adopter un lot de mesures pour sécuriser les lieux et prendre le temps de rassurer les gens en leur expliquant comment elles les protégeraient.»

Le «côté positif»

La pandémie a entraîné une foule de perturbations, mais le travail à la maison a aussi offert aux gens une certaine souplesse pour travailler et décrocher un deuxième boulot d’appoint en paix.

«Le bureau est devenu un lieu fantôme», indique Abdul Malik, producteur de contenu, journaliste et écrivain basé à Edmonton. Occupant trois postes, l’homme de 27 ans mentionne qu’à l’instar de bon nombre de ses pairs, il a enregistré une hausse de productivité imprévue, malgré le fait qu’il dépend de plus en plus des écrans.

«Je ne veux pas employer le terme “bon côté” parce qu’il y a des gens qui meurent et que plein d’éléments stressants sont apparus dans ma vie, explique-t-il, mais d’un autre côté, je me dis “ah, le travail devrait toujours être ainsi”. [Je réussis à livrer dans les délais et] je ressens moins d’anxiété durant la journée.»

Pour Rostyslav ‘Rosty’ Soroka, analyste en recherche juridique, la COVID-19 a offert une occasion qui aurait été impensable sans la transformation de la culture du travail: quand les autorités ont annoncé que la consigne de travailler à la maison durerait au moins jusqu’en juillet 2021, il a décidé de déménager de Toronto à Castlegar, en Colombie-Britannique, pour profiter de quelques mois de télétravail et de fins de semaine de ski.

Comme à peu près tout durant la pandémie, la liberté de se déplacer n’importe où est une arme à double tranchant, en particulier pour les résidents des localités où l’on dénote un afflux de travailleurs à distance à la recherche d’un logement et de services.

«À l’heure actuelle, à Nelson, en Colombie-Britannique, le taux d’inoccupation est à 0 %», indique Rosty Soroka. «Tout est loué [car] bien des travailleurs des domaines de l’informatique et de la technologie vivent la même situation et s’éloignent des zones rouges, particulièrement frappées par la COVID-19.»

Installé dans les montagnes, Rosty Soroka entrevoit un avenir professionnel entièrement virtuel, malgré les défis que cela entraînera. «J’espère que certaines des transformations culturelles entourant la question du lieu de travail [sont là pour durer et que] je serai en mesure de faire pareil une fois la pandémie terminée.»

Approfondir le sujet

À lire:

1.2 - Tisser des liens numériques

Illustration 1
Crédit: Niti Marcelle Mueth

La distanciation bien installée, les Canadiens nourrissent leur sentiment d’appartenance au sein de communautés en ligne. 

Quels comportements perdureront à mesure que les médias numériques continueront de prendre de l’ampleur dans notre quotidien?

PAR ANITA LI

Après des mois de confinement à Montréal, avec son chien pour seule compagnie, Delphine Bergeron a commencé à ressentir «le besoin tout simple d’être avec quelqu’un

L’artiste et conseillère en santé mentale de 37 ans mentionne qu’elle a toujours été sociable, mais qu’à titre d’obsédée de la sécurité travaillant dans le domaine des soins de santé, elle a suivi à la lettre les règles de distanciation. Au début de la pandémie, elle parlait à des amis grâce à des logiciels de vidéoconférence comme Zoom et FaceTime. Depuis, elle délaisse parfois la vidéo, mais appelle ses amis au téléphone au moins une fois par jour.

Mais ça ne suffit pas.

Elle s’est mise à graviter vers les plateformes interactives et à remplir ses temps libres avec Twitter, Facebook Live, YouTube, TikTok et Twitch. Et elle n’est pas la seule.

En bonne compagnie à l’époque de la COVID-19

En mars, l’utilisation de la messagerie instantanée sur des plateformes détenues par Facebook, comme Messenger, Instagram et WhatsApp, a augmenté de plus de 50 %, et les appels téléphoniques et vidéo ont plus que doublé eux aussi. Facebook Live, qui n’arrivait pas à décoller avant la pandémie, a gagné en popularité après le décret du confinement puisque c’est devenu l’un des seuls moyens de prendre part à un événement en direct.

Qui plus est, dans son rapport 2020 sur l’usage des médias sociaux aux États-Unis, eMarketer avait prévu que les adultes américains passeraient quatre minutes de plus par jour qu’en 2019 à texter au téléphone et sept minutes de plus par jour sur les médias sociaux.

L’utilisation de plateformes de clavardage-vidéo jusque-là méconnues, comme l’application Google Duo et les réseaux hyperlocaux Nextdoor et Houseparty, un service qui permet d’organiser des clavardages-vidéo de groupe, ont elles aussi connu une hausse d’achalandage pendant la pandémie.

La réalité virtuelle (RV) sociale gagne elle aussi en popularité pour connecter les gens tout en maintenant la distanciation sociale, comme en témoigne l’augmentation de la demande de services de RV offrant des outils de collaboration à distance, d’organisation d’événements, d’éducation, de tournées, et plus encore.

«Il y a à présent plus d’adeptes de la “réalité virtuelle sociale” car les gens se sentent seuls et isolés à la maison et ils ont envie de rencontrer d’autres personnes de manière sécuritaire», indique Kris Kolo, directeur général mondial de l’Association VR/AR, dans un billet de blogue. «[La RV est] une excellente solution pour maintenir la distanciation physique.»

Tisser des liens au-delà des conversations

Nombreux sont ceux qui désirent ardemment maintenir un semblant de vie sociale. Selon le rapport Watching the Pandemic produit par YouTube, le nombre de visionnements de vidéos comportant le mot-clic #WithMe (avec moi), où les créateurs invitent le public à se joindre à eux le temps d’une activité, a augmenté de 600 % de février à mai. De la même façon, il y a eu une augmentation du jeu social.

En particulier, la popularité des sports électroniques, aussi appelée eSports, a explosé durant la pandémie de COVID-19, et 5,7 millions de Canadiens ont suivi des compétitions multijoueurs. Cela représente une croissance de 29 % par rapport à l’année précédente, selon une étude de Viventel.

Cette hausse ne surprend pas Kris Alexander, mordu de jeux vidéo et professeur adjoint à la RTA School of Media de l’Université Ryerson, à Toronto. Dans le cadre d’une expérience sur Twitch, il a diffusé un cours magistral complet à plus de 100 spectateurs, en maintenant constant le nombre de personnes qui le regardaient pendant les trois heures qu’a duré son cours.

Pendant des années, Alexander a considéré les expériences en ligne comme d’excellents substituts à la mise sur pied de communautés en personne. Il croit que leur popularité continuera à grimper même après la pandémie. «Ces communautés continueront assurément à exister après coup», dit-il.

«La beauté de la chose réside dans le fait que, d’une certaine manière, les gens se sentent plus à l’aise d’interagir… Si quelque chose arrive, on peut fermer la fenêtre et ne jamais retenter l’expérience.»

«D’une certaine manière, les communautés tissent des liens plus forts», indique Kris Alexander.

Les différents publics veulent regarder d’autres personnes diffuser en continu et jouer à des jeux vidéo ensemble, mentionne-t-il. Des gens de partout organisent des mariages et des cérémonies de remise de diplômes en ligne dans le jeu Apex Legends, et certains vont même à la pêche virtuelle ensemble.

Traditionnellement, l’internet a constitué «un monde à lui seul», surtout en ce qui a trait aux films, à la télévision et à l’industrie de la diffusion de masse, mais maintenant que les plateformes Web sont devenues monnaie courante et qu’elles touchent la société en général, «le reste du monde est assujetti à des conditions similaires à celles des vidéastes Web». Il surenchérit :

«Qui sera la figure de proue de la prochaine phase? À mon avis, ce sont les youtubeurs.»

Adieu couverture nichée, bonjour grand public

Plus de gens que jamais adoptent des plateformes comme Twitch. Même si «au départ, elle a vu le jour en tant qu’outil de diffusion et de consommation de jeux vidéo, globalement, sa portée s’est étendue à différentes catégories comme les arts et la musique [émergente]», mentionne Kris Alexander.

Twitch compte parmi ses vedettes un populaire pianiste de musique classique, une communauté d’artistes 3D et des DJs réputés qui organisent des fêtes et font tourner leurs platines lors d’événements. Même avant la pandémie, les Canadiens affluaient sur des plateformes comme Twitch pour y trouver des communautés pointues auxquelles ils pouvaient s’identifier.

«Dans ce genre d’endroits, des communautés de niche naissent de toutes parts et les gens s’y rendent pour nourrir un sentiment de satisfaction et de congruence entre leurs pensées, leurs émotions [et] leurs sentiments», précise Kris Alexander.

Nous vivons désormais à une époque où Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique, et Alexandria Ocasio-Cortez, membre du Congrès  américain, jouent à Among Us sur Twitch devant un public captivé. Cela démontre à quel point ces environnements virtuels rejoignent désormais le grand public.

Du contenu qui fait écho à la communauté

Sarah Thompson est directrice en chef de la stratégie de l’agence d’achat média Mindshare Canada et croit que les publics canadiens, en particulier les plus jeunes, recherchent de plus en plus ardemment du contenu reflétant leur communauté et leurs valeurs.

«Au fil du temps, les jeunes de la génération Z, plus socialement engagés [et] interpellés par la justice sociale, exigeront des communications claires et précises», dit Sarah en ajoutant qu’ils ne porteront attention au contenu que s’ils sont représentés, si les médias parlent de ce qui les préoccupe et si cela reflète leur système de valeurs.

«Nous entrevoyons la fin des émissions de télévision au style convenu. Les [publics] veulent qu’on leur présente les nouvelles d’une manière rafraîchissante et qu’on leur fasse entendre des voix diversifiées. On sent cette influence découlant du mouvement Black Lives Matter, de celui entourant les questions liées à la communauté LGBTQ+, et tout ça. [Les publics] veulent voir plus de gens reflétant la société à la télévision et dans les contenus».

Comme tout le monde est enfermé à cause du confinement, le visionnement de télévision traditionnelle et en diffusion continue a également augmenté de manière importante.

La montée de l’infodivertissement

Selon une étude de Mindshare, même s’ils ont trouvé du réconfort devant l’écran au début de l’éclosion, les Canadiens s’en sont désintéressés en juillet, optant plutôt pour la pratique d’activités extérieures. Ils ont également commencé à consommer du contenu plus optimiste, en choisissant des médias qui les aideraient à se détendre et à réduire leur niveau de stress.

Au tout début de la pandémie, la catégorie «humour» était en tête du classement des balados les plus prisés selon les données d’Acast, et elle était le deuxième genre le plus populaire d’après la société de mesure d’écoute de balados Podtrac, qui a enregistré une croissance du nombre de téléchargements de 34 % au cours du mois de mars.

Sarah Thompson prédit que cette tendance persistera sans doute même une fois le virus enrayé: «[Aurons-nous] des programmes un peu plus ancrés dans l’optimisme? Ressortirons-nous de la crise [avec] un petit peu plus d’humour?»

En revanche, les Canadiens consomment des nouvelles à un rythme record. La société de mesure et d’analyse des médias Comscore a indiqué que les sites de nouvelles et d’information ont vu leur taux d’engagement augmenter considérablement en mars.

Cependant, ceux qui étaient accros aux nouvelles au début de la pandémie sont désormais las du cycle incessant de l’information et de la sursaturation de contenu. Le magazine WIRED rapporte que dès avril, les Américains montraient déjà des signes d’épuisement et de la désensibilisation face aux nouvelles.

Une étude de Mindshare a quant à elle permis de révéler qu’à la mi-2020, les Canadiens «étaient de plus en plus au courant du contenu qu’ils recherchaient et qu’ils limitaient tout spécialement leur consommation d’actualités.»

«On sent cet effet sur le contenu, particulièrement dans l’essor de la production documentaire et dans le nombre de personnes qui s’y intéressent», explique Sarah Thompson. «On arrive à couvrir tous les aspects, les faits sont tous contre-vérifiés et c’est quelque chose que les [publics] peuvent conserver, au contraire des topos sur les [nouvelles] qui évoluent lentement.»

Regard sur l’avenir

C’est indéniable, le coronavirus a modelé la manière dont les publics consomment le contenu, mais ces comportements sont-ils là pour de bon?

Il est probable que la tendance au visionnement et au jeu en groupe ne disparaîtra pas de sitôt, puisque les Canadiens se sont montrés plus friands d’expériences en ligne partagées comme le co-visionnement d’émissions de télé ou les séances de jeu en compétition avec des amis dans un environnement virtuel.

«Bien des scénaristes et des auteurs-producteurs de talent [sont eux aussi] restés assis à la maison à réfléchir au sens de la vie, et ils ont pondu de nouveaux concepts,» renchérit Sarah Thompson.

Voilà qui laisse supposer que le meilleur pourrait être à venir.

Approfondir le sujet

À lire:  

1.3 - Le cinéma en salle en crise existentielle?

PAR ANITA LI ET MARINA HANNA

La pandémie a accéléré le déclin du visionnement de films au cinéma, et la deuxième vague du coronavirus a frappé encore plus fort que la première. Mais la COVID-19 a-t-elle réellement modifié la demande culturelle (surtout compte tenu de la renaissance des ciné-parcs)? Comment l’industrie se réinventera-t-elle pour attirer les clients? Une fois le confinement terminé et les craintes dissipées, les Canadiens afflueront-ils dans les salles de cinéma?

Nul ne connaît encore les réponses, mais les gros joueurs de l’industrie travaillent en collaboration pour trouver la voie à suivre afin d’assurer un avenir durable.

Cineplex, la plus grande chaîne de cinémas au Canada, a conclu une entente avec Universal Filmed Entertainment Group (UFEG) qui assure une diffusion exclusive des films en salles de cinéma, allant jusqu’à cinq fins de semaine complètes avant que l’œuvre ne passe aux plateformes de vidéo à la demande (SVOD).

«La segmentation des publics s’est accrue en raison de la montée de la diffusion numérique, de la diffusion en continu et des débranchements du câble… Notre relation avec l’exploitation de films en salles a dû évoluer puisque nous devons nous adapter au paysage de la distribution en transformation», a expliqué par voie de communiqué Donna Langley, présidente de UFEG. «Maintenant plus que jamais, il est important pour nous d’offrir plus de souplesse aux consommateurs afin qu’ils visionnent le contenu comme bon leur semble, afin d’attirer les cinéphiles [et] d’élargir l’éventail de l’offre destinée à notre public canadien.»

Pendant ce temps, WarnerMedia a annoncé qu’en 2021, elle sortira tous ses titres durant un mois sur HBO Max, tout en diffusant ses films sur grand écran au cinéma pour ceux qui ne seraient pas abonnés au service.

Au-delà de la souplesse des options, des experts suggèrent, dans un rapport de MarketWatch, qu’après la pandémie, les cinémas pourraient stimuler l’achalandage en jouant avec leur offre, notamment en l’élargissant: «Pourquoi ne pas offrir aux gens l’occasion de voir des séries télé sur grand écran, avec pauses et entractes?», demande Anthony Palomba, professeur adjoint d’administration des affaires à l’école de commerce Darden de l’université de Virginie.

Pour attirer les cinéphiles en salle, il suggère également aux cinémas de louer leurs installations pour y organiser des événements sportifs et culturels d’envergure, et de stimuler la participation du public durant les projections.

«Il faut donner aux gens des raisons de sortir de la maison», acquiesce Tom Alexander, directeur des sorties en salles de Mongrel Media, distributeur canadien fondé en 1994. Il précise qu’il est en faveur d’initiatives d’«événementalisation» de l’expérience au cinéma pour promouvoir à l’avenir les titres prestigieux. Le pouvoir réside dans l’œil des consommateurs, mentionne-t-il, et à l’heure actuelle, ils ont le regard tourné vers les services de diffusion en continu comme jamais auparavant.

Selon un rapport de 2020 de PricewaterhouseCoopers (PwC), les revenus tirés d’abonnements à la vidéo à la demande bondiront au cours des cinq prochaines années et représenteront plus du double des recettes au box-office en 2024.

D’un point de vue acquisition, il s’avérera difficile pour les entreprises comme Mongrel Media de rester concurrentielles à long terme puisqu’elles ne peuvent mettre sur la table les «les millions de dollars nécessaires pour obtenir des droits mondiaux de streaming» comme peut le faire Netflix.

Un nombre réduit de cinémas en activité, jumelé à des plateformes de diffusion en continu au pouvoir d’achat mirobolant, signifie qu’il sera nécessaire de s’adapter et «de jouer du coude pour tirer son épingle du jeu dans le marché», indique Tom Alexander, puisque le modèle d’affaires et le réseau de distribution en salles ont considérablement changé.

Les préférences du public restent également à cerner. Une recherche récente de la firme d’analyse Parks Associates a découvert que 25 % des ménages des États-Unis dotés d’une connexion internet à haut débit préfèrent désormais visionner les nouveautés via un service d’abonnement. Par ailleurs, 24 % d’entre eux préfèrent aller au cinéma et près de 30 % n’ont pas de préférence quant au lieu ou à la manière dont ils regardent un nouveau film, «ce qui donne une lueur d’espoir aux salles de cinéma qui tenteront de regagner une certaine portion du public grâce à la diffusion de films en première exclusivité», a indiqué Steve Nason, directeur de recherche.

Même si PwC ne prévoit pas une reprise des activités des cinémas suffisamment forte pour générer des revenus comparables à l’avant-pandémie avant 2025, Marc Simon, ancien réalisateur désormais associé chez Fox Rothschild, et président du service du droit du divertissement de la firme, a mentionné à MarketWatch qu’il s’attend à ce que le modèle d’affaires revienne un jour à la normale:

«Les gens sonnent le glas des cinémas depuis belle lurette, mais les salles ont toujours survécu, dit-il. L’expérience de cohésion qu’offre une sortie au cinéma avec nos proches dans une salle sombre, devant écran, enveloppés d’un parfum de maïs soufflé, est trop intense pour s’éteindre.»

Approfondir le sujet 

À lire:

2 - Diffusion et demande en pleine ébullition

FMC RapportTendances Chapitre2 FR 1

PAR CATHERINE MATHYS, Directrice de la veille stratégique

En 2020, j’ai streamé, tu as streamé, nous avons tous streamé. Sans grande fidélité, nous sommes passés d’un contenu à l’autre pour combler tous ces nouveaux temps libres. Et c’est ainsi qu’un auditoire plus captif que jamais est apparu comme par magie pour tous les distributeurs de contenu. De nouveaux auditoires se sont formés, à la recherche de contenus à la fois inconnus et réconfortants, moins soucieux de cumuler les abonnements dans les circonstances.

Mais quand les options sont si nombreuses, comment les distributeurs et autres plateformes font-ils pour se démarquer et faire connaître leur contenu? Et si la pandémie avait changé la manière de cibler les auditoires? Dans un contexte comme celui que la COVID-19 a imposé, il semble que la découvrabilité et l’habileté à rejoindre les bons auditoires au bon moment soient plus importantes que jamais.

Et ces auditoires se trouvent parfois dans des lieux insoupçonnés, comme dans des métavers, ces plateformes virtuelles qui permettent de rassembler des milliers, voire des millions de personnes. Si Travis Scott a pu présenter son œuvre musicale à des dizaines de millions de gens sur Fortnite, est-ce que le contenu audiovisuel pourrait trouver un nouvel auditoire dans les univers virtuels de ce monde et retrouver une partie de la clientèle qui fréquente moins les canaux de distribution traditionnels?

Pour les jeunes générations, le contenu se consommait déjà en ligne. Et voilà que nous y sommes tous, pour le divertissement, pour le travail, pour les liens avec nos parents et amis. On a eu à se réinventer un monde, à recréer le monde physique tel qu’on le connaissait, mais en ligne, à distance. Malgré la difficile adaptation dans certains cas, le contenu se fraye un nouveau chemin jusqu’à son auditoire.

Derrière nos ordinateurs, on a parcouru des distances improbables dans la même journée, la même semaine, pour découvrir les œuvres de demain. Est-ce que la présence des uns et des autres nous manque? Assurément. Est-ce que la crise va laisser des traces sur la manière de distribuer du contenu ici et ailleurs? Absolument, mais comment?

2.1 - La demande à la tonne

2 A The On Demand Effect
Credit: Zoé Zénon

L’impact des plateformes de SVOD sur le marketing numérique

Alors que de nouveaux utilisateurs affluent vers les plateformes de jeu et de vidéo à la demande par abonnement, producteurs et distributeurs doivent repenser leurs stratégies de marketing. L’évolution des habitudes de divertissement, des goûts, des modes de visionnement et de l’utilisation des appareils veut aussi dire qu’il faut s’adapter afin d’intéresser et de satisfaire de nouveaux publics en proposant des contenus attrayants.

Par KELLY LYNNE ASHTON

Dans la dernière année, le nombre de consommateurs de contenu sur demande a augmenté de façon phénoménale.

Selon les prévisions de Digital TV Research, le nombre d’abonnés aux services de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) devait croître de 170 millions à l’échelle mondiale en 2020. D’ici 2025, les services d’abonnement devraient encore augmenter pour atteindre près de 1,2 milliard, soit une hausse de 81 %.

Les services de streaming tels que Netflix, Amazon Prime, Apple TV+, Disney+, ICI TOU.TV et Club illico ont vu leurs abonnements canadiens passer de 25,8 millions en 2019 à 38 millions en 2020, selon GlobalWebIndex.

Entre mars et mai, le temps passé sur Crave s’est accru de 60 % et les visionnements sur CBC Gem ont augmenté de 57 % entre janvier et mai, selon un rapport de la CBC. Dans le marché francophone, le nombre d’utilisateurs d’ICI TOU.TV a crû de 13 % en 2020.

Une étude de l’Interactive Advertising Bureau a également révélé que si le bouche-à-oreille reste le principal moyen par lequel 48 % des spectateurs entendent parler des émissions originales, les recommandations proviennent également des services de diffusion par abonnement (40 %), des publicités télévisées (39 %), de la navigation en ligne (36 %) et de la consultation du menu du service par abonnement (34 %).

Ainsi, alors que les algorithmes peuvent diriger les spectateurs en fonction de leurs sélections antérieures, les professionnels du marketing ne peuvent plus compter uniquement sur eux. De plus en plus, la découvrabilité et l’optimisation pour les moteurs de recherche (SEO) deviennent cruciales dans la stratégie de distribution.

Visionnement en rafale et microciblage…

Quand vient le temps de renouveler les contenus originaux, WIRED UK rapporte que le facteur le plus important pour Netflix est le nombre d’abonnés ayant regardé une émission dans les 28 jours suivant sa sortie.

Cela privilégie les émissions populaires et fortement publicisées plutôt que les contenus de niche, qui prennent du temps à se déployer. Par conséquent, les productions indépendantes s’efforcent de rejoindre un large public dès le départ, afin d’influencer les premières décisions de renouvellement.

L’échéancier de promotion est aussi plus court : une campagne de marketing de quatre mois se fait en quatre semaines pour des émissions lancées sur des services de diffusion en continu «parce que c’est le genre d’émissions qui se consomment en rafale», explique Dani Gagnon, co-fondatrice de BAE Communications, basée à Toronto.

Pour rentabiliser temps et argent, la stratégie privilégiée est le microciblage: «créer du contenu et l’envoyer à des cibles démographiques uniques qui, selon vous, auront une réaction plus favorable à [ce que] vous avez créé».

Utopia Falls, par exemple, est une émission de science-fiction hip-hop diffusée sur CBC Gem et Hulu pour jeunes adultes, avec des protagonistes gais, noirs et autochtones. Pour en faire la promotion, «nous avons créé des mini-vidéos et des bandes-annonces uniques pour des cibles spécifiques, au lieu d’une bande-annonce diffusée en masse», explique Dani Gagnon. Ainsi, une vidéo du couple gai a été dirigée vers un segment démographique de femmes intéressées par les questions LGBTQ+.

Bien que la réaction ait été très positive, le microciblage exige des producteurs de contenu une connaissance approfondie de leurs spectateurs. BAE Communications avait ciblé l’âge et le groupe ethnique, mais aussi les intérêts du public comme la justice raciale et la culture queer.

Dans un récent entretien, le président de Fandango Media, Paul Yanover, en arrive au même constat : « En tant que producteur de contenu, connaissez-vous votre public cible? Êtes-vous en mesure de recueillir les données [et] de les optimiser?»

«Vous avez une superbe pièce de contenu et savez quoi faire avec les données ? Là on jase.»

Comme les milléniaux et la génération Z sont des consommateurs voraces de contenus liés à leurs émissions préférées, les données sont là, tout comme la demande. «Les gens dévorent le contenu et on pédale pour leur en donner le plus possible», déclare Dani Gagnon.

Et la création ne doit pas forcément être coûteuse. BAE Communications a été engagée par American Gods pour filmer les coulisses de la troisième saison pour les médias sociaux, ce qu’ils ont fait avec un téléphone intelligent.

Néanmoins, Dani Gagnon déplore l’actuelle tendance du marketing de courte durée, car on rate une occasion de s’engager à long terme avec une communauté, en faisant grandir l’audience d’une émission au fil du temps, comme le ferait un télédiffuseur.

Exemple notoire, Bienvenue à Schitt’s Creek, de la CBC, a pris le temps de conquérir des audiences au Canada, puis en Amérique, sur la chaîne Pop TV de ViacomCBS, avant de faire sensation sur Netflix lors de sa troisième saison, et de récolter les honneurs à la 72e édition des Emmy Awards.

… en passant par le jeu vidéo

La consommation de jeux vidéo est également en hausse. Selon Quartz, les ventes de jeux vidéo aux États-Unis ont augmenté de 37 % par rapport à l’année précédente pour atteindre 3,3 milliards de dollars en 2020. Les analystes s’attendent à une adhésion encore plus importante maintenant que les gens interagissent avec leurs familles et amis éloignés par ce médium.

Avec une structure similaire aux services SVOD, Steam est la principale plateforme de distribution de jeux vidéo indépendants. L’apprentissage automatique est employé pour prédire les préférences en fonction de l’historique de jeu, et la plateforme propose des titres populaires, comme le dernier de la série Baldur’s Gate, ainsi que le grand succès de la pandémie, Among Us.

Depuis que les jeux vidéos se sont démocratisés et qu’ils ne sont plus utilisés uniquement par des joueurs invétérés, les spécialistes du marketing font face aux mêmes défis qu’en télé pour lutter contre la saturation de la page d’accueil et amener le public cible vers de nouveaux titres.

Astrid Rosemarin et Janine Campos travaillent chez Evolve PR, une agence de marketing numérique pour jeux vidéo. Elles ont remarqué une énorme croissance de la demande et de l’audience. Janine Campos cite son amie en exemple:

«Elle a deux jeunes enfants», dit-elle. «Elle n’a jamais joué, n’est pas du tout passionnée par le jeu, n’y connaît presque rien, mais joue maintenant à Among Us parce qu’elle le voyait partout sur TikTok.»

Alors que le cycle de lancement d’un jeu reste inchangé (l’annoncer, sortir une bande-annonce et diffuser des publicités), Evolve PR remarque de nouvelles opportunités avec la chute des tarifs publicitaires et l’intérêt accru des médias de masse.

Astrid Rosemarin voit une campagne de jeu vidéo comme un puzzle, avec des campagnes publicitaires, des relations publiques, le développement d’une communauté et des médias sociaux: tous des éléments qui aident «les consommateurs à découvrir votre jeu».

Mais les faire entrer dans l’entonnoir de vente prend du temps et nécessite beaucoup de contenu promotionnel. «Les gens doivent être intrigués par chaque élément de contenu qu’ils voient.»

Le marketing pratiqué par Evolve n’est pas basé sur les données démographiques traditionnelles de l’âge et du sexe, mais sur la recherche de publics en fonction de leurs intérêts et sur l’utilisation des médias sociaux pour les cibler.

«Si vous avez aimé Firewatch, vous aimerez probablement cet autre jeu où vous explorez la nature sauvage et où vous communiquez par walkie-talkie.» Et pour générer plus de contenu, Astrid Rosemarin suggère d’aborder des sujets connexes au jeu promu.

«Si votre jeu se déroule dans l’espace, partagez des informations captivantes sur les fusées. Vous attirerez des gens qui ne sont pas d’abord là pour le jeu, mais qui seront là pour votre écosystème, votre marque, et qui aideront à diffuser votre message.»

À l’heure actuelle, le marketing numérique se fait en trouvant son créneau et en l’amenant vers son émission ou son jeu grâce à du contenu engageant. Et si ce dernier ne doit pas forcément être coûteux, il doit par-dessus tout être divertissant.

Approfondir le sujet

À lire:

À écouter: 

2.2 - La guerre du streaming

2 D Streamingwars Julienposture
Crédit: Julien Posture

La lutte pour les revenus publicitaires et l’attention du public s’intensifie

Alors que la pandémie a interrompu les événements en direct et retardé la programmation de la télé traditionnelle, les consommateurs ont passé plus de temps sur les plateformes de service par contournement (OTT) et non linéaires. Maintenant que tous les yeux sont rivés sur le web, comment les services de diffusion en continu canadiens vont-ils conserver leurs abonnés et enrichir leur contenu?

PAR AMBER DOWLING

En 2020, le lancement de Disney+, HBO Max et Peacock a donné des munitions à la guerre ouverte de la diffusion en continu. Et la pandémie est venue intensifier la lutte encore davantage.

Disney+ est en voie d’atteindre 226 millions d’abonnés dans le monde d’ici 2024, soit près de quatre fois son objectif initial de 60 à 90 millions. Son concurrent, Netflix, devrait compter 292 millions d’abonnés dans le monde cette même année.

Peacock a fait état de 10 millions d’abonnés américains à sa sortie, WarnerMedia en a recensé 36,3 millions pour HBO et HBO Max en juin, les abonnements à Hulu ont augmenté de plus de 20 % par rapport à l’année précédente, et Prime Video a comptabilisé plus de 23 % de tous les abonnements à la vidéo à la demande (SVOD) dans le monde, soit une hausse de 14 % par rapport au trimestre précédent.

Les consommateurs ont passé 57 % plus de temps sur un service de streaming par rapport à l’année dernière, une augmentation de deux à trois fois sur tous les continents. À ce rythme, le nombre total d’abonnements à des services SVOD dans le monde devrait atteindre 1,6 milliard d’ici 2025.

Et les services de diffusion en continu cherchent à cerner le nombre idéal de forfaits auxquels un consommateur s’abonnera. La famille américaine moyenne compte 3,8 abonnements, selon Ampere Analysis, et une étude de Futuresource indique que le cumul de services deviendra la norme, avec 70 % des utilisateurs prêts à souscrire à de nouveaux abonnements.

En réaction, les entreprises ne se contentent pas de se restructurer en fonction des services en continu et du transfert de contenus de qualité en ligne. Dans un marché en évolution rapide, elles s’efforcent de récupérer les milliards de dollars publicitaires perdus, usent de stratégie pour maintenir les abonnés et investissent massivement dans les contenus pour garnir leurs plateformes.

Diffuseurs en continu vs distributeurs

La disponibilité des contenus repose maintenant sur les épaules des distributeurs. Des acteurs comme Roku et Amazon mobilisent des parts de plus en plus importantes de l’inventaire publicitaire et des revenus d’abonnement. Dans certains cas, ils sollicitent même des contenus gratuits pour leurs propres services de vidéo à la demande basés sur la publicité (AVOD).

C’est un modèle qui reflète le traditionnel bras de fer entre diffuseurs et distributeurs. Au Canada, cela a conduit à des négociations prudentes.

«C’est comme un centre commercial. Nous voulons que les gens entrent dans notre magasin… si vous n’êtes pas dans tous les centres commerciaux, on ne vous verra pas», explique Jeff Hersh, vice-président, stratégie, distribution du service par contournement et du service premier choix de visionnement sur demande chez Bell Média.

Il indique que Crave, par exemple, a travaillé fort pour être chez tous les distributeurs en tant qu’application, mais que l’entreprise a été lente à s’adapter aux chaînes Prime Video, choisissant de tester STACKTV (un forfait multicanal pour les membres canadiens d’Amazon Prime) avec sa plateforme Starz, en attendant de voir les retombées.

«Ce sont de gros joueurs et, d’un point de vue canadien, Crave est un produit canadien local. Nous devons être astucieux [et] sélectifs dans la façon dont nous travaillons avec certains de ces distributeurs mondiaux», déclare-t-il.

«Notre objectif est de nous approprier l’expérience autant que possible.»

Contenus originaux vs partenariats

Brad Danks est le PDG d’OUTtv, premier et seul réseau de télévision LGBTQ+ au monde, et première chaîne canadienne disponible sur Apple TV en 2019. Selon lui, les services de diffusion en continu locaux devraient se méfier des diffuseurs mondiaux qui s’adressent directement aux consommateurs et qui créent leur propre contenu (comme Disney+ ou HBO): cela aura inévitablement un impact sur la taille du marché de la distribution au Canada, contribuant à l’appauvrissement de l’offre télévisuelle câblée.

«Il nous manque une stratégie au Canada. Nous manquons cruellement de stratégie», dit-il, ajoutant qu’il est dangereux de ne pas se focaliser sur la croissance mondiale. «Nous sommes habitués à prendre du contenu canadien et à le vendre à l’étranger à une tierce partie, [mais] l’innovation nécessaire pour le système canadien est que ce contenu soit regroupé et prenne position sur des plateformes étrangères.»

«Les gens pensent que le contenu est roi, mais le nerf de la guerre, c’est la distribution.»

Alors que les programmateurs concluent des accords d’envergure avec de nouveaux services américains pour introduire des programmes d’acquisition au pays, «nous devons repenser notre industrie en ces termes», pense-t-il. «Et nous devons le faire rapidement. Peut-être maintenant, parce que nous prenons du retard.»

Christiane Asselin, directrice principale du contenu et de la programmation multiécran chez ICI TOU.TV, est convaincue que les partenariats stratégiques permettront au contenu de bien se porter pendant que le marché se dessine.

L’objectif du service de diffusion de langue française est d’obtenir et de partager les meilleurs contenus entre partenaires, ce que des plateformes comme la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF) et France.tv permettent de faire.

«Nous essayons de rassembler le plus de contenus possible sur une même plateforme, cela permet au public d’en découvrir plus», déclare-t-elle. «Nous avons une meilleure offre pour l’abonné [de cette façon]. Dans 10 ans, il y aura davantage de partenariats, car tout le monde ne survivra pas.»

Transfert des budgets publicitaires

Une partie du défi reste à déterminer comment les partenariats s’inscriront dans les modèles de monétisation actuels.

Les services traditionnels de diffusion en continu ont jusqu’ici proposé un modèle par abonnement (SVOD), basé sur la publicité (AVOD) ou une combinaison des deux, comme CBC Gem, mais la pandémie a conduit à une expérimentation plus poussée des modèles de tarification.

Disney+, par exemple, a dévoilé «Premier VOD Access» pour des contenus comme Mulan, rendant le film accessible à ses abonnés pour 29,99 $.

Et puis il y a les modèles gratuits de vidéo à la demande financés par la publicité (AVOD) comme Tubi, l’application GlobalTV ou CTV Throwback, dont les revenus dépendent entièrement d’espaces numériques soutenus par la publicité.

Les experts de l’industrie surveillent de près ces modèles, tout en gardant un œil sur les nouvelles mécaniques comme les publicités de pause (diffusées lorsqu’un utilisateur met une émission en pause) ou encore les campagnes intégrées et les partenariats de marque, qui incorporent des publicités dans les émissions et contenus originaux.

Le modèle est en constante évolution, explique Jeff Hersh. La saison inaugurale de Canada’s Drag Race sur Crave est un exemple que la publicité fait maintenant partie du choix des consommateurs.

«Si le consommateur comprend ce qu’il choisit et ce pour quoi il paie, il est beaucoup plus réceptif à la publicité que si on la lui impose.»

Brad Danks explique que OUTtvGo n’a pas intégré de publicité, en partie en raison de ses relations avec des distributeurs sans publicité comme Amazon et Apple. Mais au fur et à mesure que l’entreprise croît, elle se tourne vers des modèles basés sur la publicité pour développer de nouveaux marchés.

«Ces plateformes sont nouvelles et on est devant le paradoxe de l’œuf ou de la poule», dit-il. «Elles vont devoir développer leur audience avant de pouvoir obtenir de la publicité. [Et s’adapter quand] elles augmenteront un peu la publicité. Pour beaucoup d’entre elles, ça va prendre un an ou deux avant d’atteindre leur objectif.»

Captiver les abonnés 

Les programmateurs ont les yeux rivés sur le long terme, mais du moins pendant la pandémie, les consommateurs ont consommé du contenu plus rapidement que jamais. Cela a accru la nécessité d’alimenter les services de diffusion en continu avec davantage de contenu, sous peine de perdre des abonnés.

«On voit de plus en plus de gens s’abonner et se désabonner des services, ce qu’on ne voyait pas autrefois avec la télévision», déclare Jeff Hersh. «Les distributeurs actuels facilitent cette pratique.»

Il pense que deux choses garderont les abonnés en place: un contenu de qualité et le marketing.

Brad Danks confirme que le contenu de qualité (surtout lorsqu’il est ciblé ou qu’il s’agit d’une série phare) est ce qui continuera à attirer les abonnés. Mais à mesure que de nouvelles options seront disponibles, les stratégies de tarification fluctueront pour donner aux abonnés annuels des réductions plus importantes et aux clients fidèles certains avantages.

«Nous avons probablement été trop généreux avec les visionnements et périodes d’essai gratuits. On commence à voir Netflix et d’autres y mettre fin. Les prix des services à la demande sont si bas que je ne pense pas que les consommateurs les comprennent.»

Christiane Asselin estime que la plupart des services de diffusion en continu ont un contenu de qualité (ou pensent en avoir un), mais que la création d’expériences utilisateur conviviales sera primordiale.

Elle donne l’exemple de Quibi, une plateforme de diffusion de contenus de courte durée destinée aux usagers du transport en commun, qui a fermé ses portes au bout de six mois seulement, car elle ne comprenait pas les besoins des utilisateurs.

«La meilleure plateforme ressortira gagnante: celle qui offrira une expérience agréable, favorisera la découverte et disposera d’une stratégie marketing pour rejoindre et fidéliser son public», prédit-elle. «S’assurer de la richesse du catalogue demande beaucoup de travail, mais il faut aider les gens à voir et connaître d’autres contenus.»

«C’est la loi du plus fort qui déterminera les gagnants.»

Approfondir le sujet

À lire: 

2.3 - Bienvenue dans le métavers

Lin Luo Metaverse
Credit: Lin Luo

Le contenu canadien se taille une place dans le monde virtuel

Ready Player One, Reboot, Tron: les univers virtuels font partie de la culture populaire depuis plusieurs décennies. Mais maintenant que les mondes parallèles sont de plus en plus présents dans nos vies, qu’en ferons-nous et jusqu’où irons-nous?

PAR JOSEPH ELFASSI

Le samouraï virtuel, célèbre roman de science-fiction de Neal Stephenson, bientôt porté à l’écran, est paru en 1992. Dans un futur cyberpunk, un jeune pirate informatique du nom de Hiro Protagoniste se connecte au «métavers»: un monde parallèle et virtuel peuplé de coupes de cheveux galactiques, de soleils noirs et de «gargouilles» avides d’informations. Le métavers ne s’éteint jamais, les relations y sont réelles et les transactions, officielles.

Depuis, l’idée s’est répandue.

Entre le dilemme de la pilule rouge ou bleue dans La Matrice et l’idée de l’ordinateur central, la dualité de nos êtres charnels et de nos avatars est désormais largement acceptée et comprise: d’un côté, je marche sur Terre. De l’autre, je maîtrise le kung-fu.

Le «tiers-lieu», terme inventé par le sociologue Ray Oldenburg en 1989, fait référence à l’environnement social qui prend corps au-delà de la maison et du travail: dans les bars, les églises et les salles de sport. Puisque la plupart des «tiers-lieux» sont fermés en raison de la pandémie de Covid-19, les gens se tournent vers leur équivalent virtuel.

Fréquentés par des générations de joueurs qui accueillent aujourd’hui les «newbies» confinés, ces mondes parallèles hébergent désormais des événements qui se déroulaient normalement dans des lieux physiques, comme des festivals, fêtes et expositions.

Divertissement et métavers

La performance de Travis Scott sur la plateforme de jeu vidéo Fortnite nous a donné un aperçu de cet avenir hybride et sans limites.

En avril 2020, la vedette numérisée a présenté son tube «Astronomical» devant 28 millions de spectateurs uniques lors de cinq représentations. Des avatars en tenues improbables dansaient autour du rappeur, plus grand que nature.

Un mois plus tôt, les amateurs de rock alternatif ont pu déambuler dans le Weezer World sur la plateforme ; un mois plus tard, Fortnite présentait des films du réalisateur Christopher Nolan en vue de la sortie de Tenet.

Même la politicienne américaine Alexandria Ocasio-Cortez a récemment joué à Among Us sur Twitch, où 400 000 spectateurs ont pu suivre sa progression en direct.

Et la liste continue de s’allonger.

L’idée d’une scène virtuelle n’est pas nouvelle. En 2006, la BBC a organisé un festival de musique en ligne dans Second Life, avec Gnarls Barkley et Muse en tête d’affiche.

«À l’époque, nous avions prévu organiser un concert en temps réel dans Sim Live», se souvient Louis-Richard Tremblay, producteur exécutif à l’Office national du film du Canada (ONF) et cofondateur de Bande à part, de Radio-Canada. «Mais le projet n’a jamais été assez prioritaire pour se concrétiser.»

Aujourd’hui à la tête des studios interactifs de l’ONF, il produit des expériences virtuelles immersives depuis dix ans, comme le vidéoclip interactif du groupe Malajube. Bien qu’une présence dans Fortnite ou Minecraft ne soit pas encore en chantier, les plateformes virtuelles sont assurément dans le radar du studio canadien.

«Nous demeurons attentifs à ce genre de révolutions», affirme Louis-Richard Tremblay. «Nous explorons… Ces plateformes étant axées sur le jeu, il faut en comprendre la culture et les habitudes. Les documentaires interactifs ne sont pas forcément axés sur le jeu.»

Selon lui, le grand défi du documentaire est d’intégrer les codes spécifiques aux environnements virtuels sans perdre de vue le message.

En produisant Streamers, une série documentaire de l’ONF qui relate les aventures de gamers professionnels, il a pu se familiariser avec la culture du jeu vidéo, stimulant ainsi la collaboration entre les univers virtuels et les institutions traditionnelles.

Le Canada dans le monde virtuel

En octobre 2020, alors que les écoliers de tout le pays vivaient une rentrée scolaire très particulière, CBC Kids News a organisé un événement en direct sur Minecraft.

Le rassemblement virtuel a permis aux enfants de créer des émojis exprimant leurs émotions et de discuter avec des invités comme la microbiologiste et épidémiologiste montréalaise Caroline Quach-Thanh. Leurs avatars ont même pu détruire en équipe une énorme particule de coronavirus.

Pendant ce temps, les artistes canadiens continuent d’innover. Cette année, le Centre PHI de Montréal a organisé une table ronde virtuelle sur la réalité étendue (XR) intitulée Le territoire inexploré comme modèle et animée par Myriam Achard, chef des partenariats nouveaux médias et relations publiques.

Dans une vidéo diffusée en direct qu’on aurait crue tout droit sortie du Samouraï virtuel, l’avatar de Myriam Achard a accueilli des créateurs internationaux de XR à l’apparence surprenante: une tête de beigne en toque de chef, une grenouille multicolore et un corbeau en costume trois-pièces.

Le futur est à nos portes. Et il est… étonnant.

Un monde de possibilités

Phoebe Greenberg, fondatrice du Centre PHI, s’est penchée sur les défis des nouveaux médias pendant une pandémie mondiale, dans un numéro spécial d’Immerse, une publication de Medium.

Dans son essai «Construire sur l’Expérience», elle explore l’avenir immédiat des réalités virtuelles et étendues, soutenant que «la technologie immersive joue un rôle essentiel [à] une époque où les distances physiques et l’intimité sont transformées par la technologie».

Le Centre PHI a aussi fait entrer la RV dans les foyers ne possédant pas de casque, grâce à un projet spécial, VR to Go. Avec 75 casques en location à Montréal et 30 à Québec pour des périodes de 48 heures, le centre a pu rejoindre un public autrement délaissé en cette période de transition technologique.

«Nous avons mis [dans les casques] 10 œuvres [dont] des films documentaires, des animations [et] des œuvres abstraites», explique Myriam Achard. «Nous considérons que le programme est un succès ; il y a assurément un intérêt pour ce type d’expériences.»

Le volet immersif du Festival international du film de Vancouver (VIFF) a quant lui attiré un nouveau public en diffusant en simultané du contenu gratuit sur six plateformes différentes, dont le Museum of Other Realities (qui a accueilli le Festival de Cannes et le Festival du film de Tribeca en ligne cette année), Oculus TV et YouTube360.

«Le jeu comme stratégie, ce n’est pas nouveau», affirme Ken Tsui, directeur de l’engagement créatif et de la programmation en direct du VIFF. «Beaucoup de festivals s’en vont dans cette direction… Tout va être plus fluide dans un an ou deux.»

Les casques d’écoute, même s’ils sont plus abordables que jamais, n’ont pas encore été largement adoptés. «Les coûts sont moins élevés [et] on n’a plus besoin d’un ordinateur de jeu haute performance.»

«Les ventes ne sont pas forcément en hausse, mais l’industrie tente de les introduire en douceur.»

Des univers immenses sur écrans traditionnels, des casques jouant sur la perception comme l’Oculus Rift ou une combinaison des deux (comme dans le pèlerinage interactif de l’ONF Le Livre de la distance): l’immersion virtuelle peut prendre plusieurs formes.

Alors que les agences de contenu, galeries d’art, événements, studios et maisons de disques s’intéressent aux codes, cultures et audiences potentielles des plateformes de jeux, on peut s’attendre à ce que la prochaine avancée de la réalité virtuelle soit transformatrice.

«Nous devons être ouverts à tous les types de collaboration», conclut Myriam Achard. «Les possibilités sont infinies..»

Approfondir le sujet 

À lire: 

À regarder: 

2.4 - La réalité étendue en pleine pandémie

PAR JOSEPH ELFASSI

Les lieux de rassemblement sont fermés, mais les écrans sont bien allumés, faisant de 2020 une année charnière pour les producteurs de réalité étendue (XR). Dans un contexte où tout change drastiquement d’un jour à l’autre, la réalité étendue a absolument besoin de ces innovateurs, qui s’adaptent à un monde essentiellement instable.

Coproduite avec la NASA et l’Agence spatiale canadienne, l’émission de réalité virtuelle (RV) Space Explorers en est à sa deuxième saison. La série présente le quotidien des astronautes à la Station spatiale internationale. «On est une des rares productions qui n’a pas été arrêtée par la pandémie [parce que] notre plateau de tournage était dans l’espace», explique Stéphane Rituit, producteur et co-fondateur des Studios Felix & Paul, basés à Montréal.

Les épisodes qui se déroulent sur Terre ont été tournés avant l’arrivée du virus. L’impact de la COVID-19 s’est donc surtout fait ressentir au moment du lancement et de la projection publique. Comme prévu, les deux premiers épisodes de la première saison sont disponibles sur Oculus Quest, mais la tournée de cinq ans, planifiée dans les dômes et les cinémas IMAX en Amérique du Nord et en Europe, est interrompue par le confinement.

La première montréalaise au Planétarium a été reportée à 2021 et d’autres retards, comme la sortie d’un film IMAX à Houston, se multiplient.

L’équipe des Studios Felix & Paul a donc eu plus de temps pour le montage.

Tapis rouge: souris plutôt que souliers

Avec la fermeture des lieux de rassemblement physiques, «les festivals ont dû s’adapter,» explique Laura Mingail, cofondatrice de Archetype & Effects, une firme de stratégie numérique. «Je suis allée à l’édition virtuelle de la section VR Expanded du Festival international du film de Venise, à partir du même endroit où j’ai assisté à Cannes XR, c’est-à-dire de mon salon.»

La conseillère en stratégie numérique avance que les avantages d’une invitation réelle à ces événements se traduisent adéquatement en expérience virtuelle. «Les gens tolèrent vraiment les petits contretemps», explique-t-elle. «Je suis transportée comme par magie dans un environnement virtuel avec des invités venant des quatre coins du globe, c’est correct si une ou deux choses ne fonctionnent pas comme prévu.»

Les versions virtuelles des rendez-vous traditionnellement physiques peuvent être prometteuses. Au Festival du film de Tribeca, les quinze projets en réalité virtuelle de l’édition 2020 ont attiré près de 46 000 connexions, un chiffre dépassant la capacité d’accueil du site physique de l’événement.

Jeunes pousses

Sur Terre, l’avantage inattendu du récit interactif Bulle relevait du temps, non de l’espace. Achevée au début de 2020, l’expérience interactive et prémonitoire de huit stagiaires à l’ONF envoie l’utilisateur de téléphone intelligent à Montréal, en 2050, alors que le réchauffement climatique a augmenté la température de deux degrés Celsius. La solution individualiste au problème collectif, c’est d’enfiler un casque sur sa tête, une bulle.

«À l’époque, on s’inspirait des masques portés en Asie lorsqu’il y a des virus», explique Marianne Bourdages, programmeuse sur Bulles. «On était surpris de voir la pertinence des bulles et des masques au moment de notre dévoilement.»

Le déploiement du projet devait être annoncé dans Le Devoir pour le Jour de la Terre. Une page devait relater les événements de la journée, l’autre, les mêmes événements 50 ans plus tard. Cette stratégie promotionnelle ne verra pas le jour. En mars 2020, la réalité dépasse fougueusement la fiction, un peu comme un Bip Bip, dans le dessin animé, doublant un Coyote pris au dépourvu.

«Les nouvelles qu’on voyait dans les journaux étaient déjà un peu surréalistes», explique Marianne Bourdages. «Donc on a préféré attendre que les choses se calment.» Le lancement a finalement eu lieu en août 2020, et le jeu vidéo sur mobile est depuis partagé par 7000 utilisateurs, dépassant les attentes initiales de l’ONF.

Téléphone, maison

Le projet Motto.io de l’ONF, une histoire de fantôme interactive composée de milliers de petites vidéos provenant du public, a connu un succès similaire en 2020. Le site web pour téléphone intelligent était initialement destiné à un lancement en installation publique, où les gestes des participants s’incorporeraient au récit d’un fantôme à la recherche d’une amie.

L’équipe de Vincent Morisset, du réputé studio de production numérique AATOAA, a dû sacrifier l’élément public de ce projet, afin de se concentrer uniquement sur l’aspect des vidéos faits maison. Depuis, une collection impressionnante de mains qui bougent et de portes qui ferment ont été ajoutées par la communauté d’utilisateurs de ce cadavre exquis.

Avec plus de 420 000 visites depuis le lancement du site mobile en janvier 2020, l’ONF se rapproche des 750 000 utilisateurs espérés après un an.

Soutenir les créateurs de réalité étendue

Avant même la pandémie, des professionnels des réalités étendues à travers le monde se sont rassemblés sous l’étendard de Kaleidoscope, une plateforme de type coopérative, afin de chercher du financement là où les canaux traditionnels de subvention ne suffisent pas. Sur la plateforme, les projets immersifs des membres sont mis au vote et peuvent recevoir le soutien des créateurs ou des fondations membres de l’organisme.

La pertinence d’une telle plateforme est redoublée, alors que les instances gouvernementales sont mises au défi par une crise sanitaire sans précédent. Et comme l’ensemble de la planète, Kaleidoscope est en train de revoir sa stratégie pour s’adapter aux nouvelles contraintes sanitaires.

L’organisme international vise à augmenter les fonds disponibles aux créateurs de partout dans le monde, espérant atteindre un soutien mensuel de 100 000 $ aux artistes d’ici un an (dix fois plus que le montant actuel). En plus des réalités étendues, les disciplines admissibles à ces subventions se multiplient, allant de la danse au cinéma, en passant par les jeux vidéo et les arts visuels.

L’avenir étant déjà incertain pour les créateurs de contenu XR, il est temps de le façonner, selon Vincent Morisset. Il souhaite voir une réelle volonté politique en ce sens. «Ce n’est pas des vitrines et d’accompagnement dont on a besoin, ça, on est servi», explique-t-il. «On a besoin de ressources de financement et d’un soutien significatif pour développer de vrais contenus. Ne pas être dans le cosmétique, mais faire des projets ambitieux de qualité qui rejoignent le grand public.» Un grand public présent sur Netflix, Facebook et autres géants du web.

Le fondateur d’AATOAA déplore l’absence des créateurs sur les plateformes web majeures, là où les tendances se concrétisent et où les grands publics sont rejoints. «Ces plateformes offrent une participation, des activités et un rapport au temps différents de la télé. Il y a là une belle opportunité de réfléchir à tout ça, et de faire avancer ce dossier de la culture pour les plateformes numériques.»

«Les créateurs de réalité étendue sont des innovateurs de nature, qui jouent constamment avec les règles et les barrières», affirme Laura Mingail, fondatrice de Archetype & Effects. «Chaque jour, des créateurs imaginent de nouveaux prototypes.»

Approfondir le sujet

À lire:

À écouter:

3 - La résilience de la production

FMC RapportTendances Chapitre3 FR 1

Par CATHERINE MATHYS, Directrice de la veille stratégique

On se souviendra sans doute de l’année 2020  comme l’année durant laquelle on se sera serré les coudes afin que l’écosystème de l’industrie des écrans puisse survivre, ou mieux, qu’il puisse saisir le moment pour explorer, pour expérimenter, pour faire mieux. Différents secteurs se sont tendu la main et diverses expertises ont uni leurs forces pour que l’image puisse renaître, encore plus belle, encore plus juste. 

Il a fallu mettre des masques, réduire les équipes, respecter toute une série de règles sanitaires pour tenter de faire comme avant. Mais on a fait mieux que ça, on a aussi profité du moment déjà si loin de notre zone de confort pour tenter autre chose. Les productions virtuelles sont venues secouer nos habitudes grâce à des moteurs de jeu qui ont pu créer les décors et les atmosphères recherchés. On a pu se déplacer d’une scène à l’autre sans prendre le moindre avion. Comme si la COVID-19 avait enfin permis la rencontre à plus grande échelle de deux grandes forces de notre industrie, les jeux vidéo et les tournages. Est-ce que ces nouvelles collaborations resteront la norme une fois la crise passée?

On le sait, les innovations surviennent souvent en temps de grande turbulence. Aussi, cette économie de déplacements nous a permis de revoir nos pratiques environnementales. On a pu démontrer qu’il était non seulement souhaitable, mais aussi possible, d’assurer la sécurité de tous sur un plateau de tournage respectueux de l’environnement et des règles en vigueur. Ces changements sont-ils pérennes pour une industrie en pleine transformation?

3.1 - Les leçons tirées des festivals virtuels

3 C Pitching From Behind A Screen
Credit: Zoé Zénon

En 2020, les événements de l’industrie des écrans sont passés au numérique, modifiant la façon de créer des liens, d’accéder à du contenu et de le distribuer, transformant au passage toute l’expérience des festivals.

Pour les agents de vente, publicitaires, distributeurs, acheteurs, programmateurs, producteurs, diffuseurs et autres joueurs, les festivals et événements de l’industrie sont une occasion de conclure des ententes, d’acheter et de vendre du contenu. Pour les créateurs émergents, présenter un projet dans le cadre d’un festival peut représenter un véritable coup d’éclat, une occasion de mettre en valeur leur talent et de créer des liens durables. 

Il va sans dire que les festivals sont encore et toujours essentiels pour l’industrie. Or en 2020, ils ont été contraints de s’adapter, et rapidement.

PAR RIME EL JADIDI ET MARINA HANNA

Pour le Festival international des médias de Banff (BANFF), qui mise sur le réseautage, les présentations de projets et les rencontres informelles, l’année 2020 a posé des défis très concrets.

«Tout est dans les rencontres sur place», lance Jenn Kuzmyk, directrice générale du BANFF. Ce qui se passe dans un festival est très difficile à reproduire virtuellement.

Avant la pandémie, le BANFF avait atteint un record de plus de 25 000 rencontres durant les quatre jours de l’événement. En 2020, il a enregistré 4 600 rencontres en ligne et 575 présentations.

Son objectif, en 2021, est de retrouver le nombre de rencontres d’avant la pandémie, mais dans une version essentiellement numérique.

Au moment où le confinement s’est imposé, le BANFF a réorganisé ses activités. En seulement quelques semaines, son personnel a été réassigné à produire et gérer du contenu en direct sur une nouvelle plateforme. Le résultat a été concluant, indique Jenn Kuzmyk. «Nous avons connu une croissance massive.»

Avant l’annulation de l’événement en personne, le BANFF était en avance de 40 % sur ses ventes de laissez-passer. Bien que ces billets aient été remboursés, le festival virtuel a finalement accueilli 5 000 participants de 52 pays, comparativement à 1 500 en 2019.

La participation de délégués et d’entreprises canadiens a augmenté dans chaque province et territoire, tout comme la participation de talents comme des scénaristes-réalisateurs vedettes. «L’un des grands avantages du virtuel est le nombre de personnes qu’on peut rejoindre.»

Établir des liens virtuels

Le passage au numérique a ouvert les portes des festivals à ceux qui n’y assistaient pas d’ordinaire ou qui étaient limités par l’aspect financier ou géographique. Pour les festivals à travers le pays, l’accès virtuel a permis d’augmenter le nombre de participants.

Le Festival international du film de Toronto (TIFF) a saisi l’occasion pour introduire de nouveaux visages: des entreprises commanditaires et donateurs indépendants ont assumé le coût d’un laissez-passer, permettant de faire participer gratuitement 250 cinéastes sous-représentés.

Josiane Blanc était l’une d’entre elles. Cette année, elle a participé au TIFF, au Hot Docs, au Festival de cinéma de la ville de Québec et au BANFF 2020. L’avantage des événements en ligne est qu’ils cadrent plus facilement dans un horaire chargé. «Pendant la saison des festivals, j’étais en préproduction de ma prochaine série web. J’étais débordée, et je n’aurais pas pu assister aux festivals s’ils n’avaient pas été virtuels.»

Outre le manque de temps, la charge financière liée aux événements peut également freiner la participation. De nombreuses personnes et organisations ont ainsi salué la baisse des coûts du virtuel. La Guilde du jeu vidéo du Québec envoie généralement deux studios au Tokyo Game Show chaque automne. Cette année, 17 studios y ont participé, nous dit la directrice générale, Nadine Gelly.

Certaines organisations ont même offert un soutien financier. Pour la toute première fois, le programme AMP Talent Accelerator du Festival international du film de Vancouver (VIFF) a offert une bourse de participation à des musiciens émergents. «C’est une année difficile pour les musiciens qui dépendent des performances live», explique Ken Tsui, directeur de l’engagement créatif et de la programmation en direct du VIFF.

Initiative d’éducation et de développement mettant les participants en contact avec des superviseurs musicaux et autres joueurs, l’AMP «a aidé les gens à s’ouvrir à l’idée [de] licencier leur musique, de l’utiliser au cinéma et à la télévision [et] de considérer la composition comme une nouvelle source de revenus».

«La plupart des musiciens ne pensent pas à comment ils pourraient licencier leur musique pour un show Netflix.»

Geoff Macnaughton, directeur et programmateur principal du TIFF 2020, et son équipe ont été inspirés par le changement de format des événements. Réalisant que les cinéastes émergents et les producteurs indépendants avaient besoin d’aide pour naviguer dans le festival et établir des contacts, ils ont utilisé l’application Cinando Match&Meet pour mettre les festivaliers en relation.

L’investissement dans la technologie de streaming a aussi été primordial pour le TIFF. Tout comme le BANFF et d’autres événements, le TIFF a mis sur pied une plateforme numérique de cinéma à domicile, en collaboration avec Crave de Bell Média.

Pour tenter de recréer l’expérience du festival, le cinéma virtuel TIFF Bell Digital Lightbox a diffusé une sélection de films déjà présentés, des titres de sa cinémathèque, la série «In Conversation With», ainsi que des conférences et des entretiens.

Pour Geoff Macnaughton, l’aspect virtuel a même permis un nouveau genre d’intimité. «Si le groupe est assez petit, vous voyez l’intérieur des maisons et la façon de vivre des gens, ce qui est impossible dans une rencontre en personne.»

Josiane Blanc voit les choses différemment. «Rencontrer quelqu’un par hasard ou entamer une conversation avec la personne assise à côté de vous est impossible numériquement. Et ce sont ces rencontres qui m’ont le plus aidée dans ma carrière. Ce n’est pas toujours dans des rencontres formelles que j’ai noué les meilleures relations.»

La réalisatrice montréalaise Marina Mathieu, qui a présenté un projet aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) 2020, a trouvé que l’écran créait une barrière. «Le langage corporel est difficile à décoder, d’autant plus si vous avez des problèmes de connexion internet», avance-t-elle. «C’est faisable, mais est-ce comme ça que nous voulons entrer en contact à l’avenir ?»

«C’est bien beau de recevoir des applaudissements sur Zoom et autres, mais les humains, on est faits pour être ensemble.»

Pour d’autres, comme le producteur Kent Donguines, basé à Vancouver, qui a participé au TIFF et au VIFF, le réseautage virtuel s’est révélé ardu. Sa société de production, Aimer Films inc., espérait trouver les bons partenaires pour financer et distribuer leurs projets, ce qui ne s’est pas produit. Il pense que c’est parce que ces événements n’ont pas eu lieu en chair et en os.

«Plutôt que d’approcher quelqu’un en personne, c’était plus difficile de planifier de véritables rencontres en ligne.». Il évoque les places limitées dans les rencontres express, l’effet restreint de la prospection par courriel et le fait que l’industrie est encore en train de se réorganiser face aux défis actuels en matière de santé.

L’absence de contact humain a également perturbé le financement des jeux vidéos, soutient Nadine Gelly. «Dans notre secteur, il est rare de signer un accord lors de la première rencontre», explique-t-elle. «C’est une relation à long terme: vous devez gagner la confiance de l’investisseur, et c’est plus difficile derrière un écran.»

Si les développeurs de jeux ont accès à davantage d’investisseurs grâce au virtuel, le processus de signature d’un contrat est désormais plus long.

«Je pense que les contrats vont se signer plus rapidement avec le retour des événements en personne», conclut Nadine Gelly.

Vers l’événement hybride

Il est encore trop tôt pour prévoir ce qui nous attend en matière d’événements et de marchés numériques, mais les experts consultés s’accordent pour dire que les choses ne seront plus jamais les mêmes: l’aspect virtuel va demeurer, même lorsque les événements en personne seront à nouveau possibles.

«Nous avons eu une audience mondiale cette année», déclare Ken Tsui. «C’était super exaltant [et] on a réalisé qu’on devrait toujours avoir une composante numérique pour accueillir les gens qui ne peuvent pas voyager.»

«Nous allons profiter de ces opportunités à l’avenir», renchérit Geoff Macnaughton, reconnaissant que cet accès élargi a fait progresser le TIFF. «Les 200 $ de vol et les 1 000 $ d’hôtel nous éloignent des gens en quelque sorte. Nous pouvons utiliser la technologie pour mettre les gens en contact et trouver un moyen de rendre le tout plus intime.»

Le TIFF a par ailleurs fait des sacrifices importants, en choisissant de ne programmer que 50 longs métrages au lieu de 300. Les galas et les présentations spéciales ont également disparu, et de nombreux grands studios ont retenu leurs titres plutôt que de les diffuser sur des plateformes tierces.

Présenter moins de longs métrages, ça veut dire moins de films à promouvoir et à vendre. «Nous avons déjà eu jusqu’à 18 films au [TIFF] et cette année nous en avons eu deux», dit Andréa Grau, fondatrice de l’agence indépendante Touchwood PR, basée à Toronto et spécialisée dans le cinéma, la télévision et les festivals.

Rien ne peut remplacer l’expérience de voir un film sur grand écran, avec l’artiste dans la salle, le soir de la première. «[C’est] la magie du cinéma… l’élément de buzz.»

Quant aux transactions, les résultats ont été à la hauteur: même avec moins de titres dans la sélection officielle, le TIFF a enregistré plus de 100 millions de dollars en ventes de films. «C’est le chiffre de ventes le plus élevé rapporté par le TIFF dans les cinq dernières années», souligne Geoff Machaughton.

À bien des égards, les festivals, événements et marchés numériques ont réussi à s’adapter. Ne sachant pas quand la pandémie prendra fin, ils doivent continuer à innover, et devenir toujours plus sophistiqués et plus attrayants. Prévoyant que les voyages ne reviendront pas à la normale de sitôt, la stratégie de beaucoup d’entre eux sera d’abord tournée vers le numérique.

Plus les plateformes et la programmation des festivals miseront sur l’interactivité, mieux ils se porteront.

Tout n’est pas gagné et reste encore à voir si un festival virtuel peut recréer l’énergie, l’atmosphère et la spontanéité d’un événement en personne. Malgré beaucoup d’incertitudes pour cette année, 2020 a par ailleurs bien démontré que les festivals, événements et marchés de l’industrie demeurent absolument essentiels.

Approfondir le sujet

À lire:

À écouter:

3.2 - Partenaires internationaux et culture autochtone

PAR KELLY LYNNE ASHTON

COLLABORATION AU DOSSIER: LAURA BEESTON

Comment aborder le contexte culturel canadien dans les marchés d’exportation?

Avec la transition vers les environnements virtuels que nous connaissons, les créateurs et le public ont un plus grand accès que jamais au marché mondial du divertissement. Malgré tout, l’intérêt pour du contenu local persiste.

Par exemple, la production locale a été un levier de croissance clé pour Netflix en 2019, année pendant laquelle le service de diffusion en ligne a investi massivement dans du contenu spécialement conçu à la fois pour les publics locaux, et pour la distribution internationale.

Mais comment un créateur de contenu culturellement spécifique s’oriente-t-il dans des marchés qui sont peut-être peu au fait de son contexte local? Et que peut-on faire pour protéger les créateurs de rencontres pénibles ou néfastes avec des acheteurs internationaux? 

Meagan Byrne, conceptrice de jeux métisse et fondatrice d’Achimostawinan Games, a lancé son jeu de détective futuriste autochtone cyber noir sur les marchés internationaux. Même si certains acheteurs ont fait preuve d’ouverture, elle a affirmé s’être heurtée à l’ignorance, au racisme et à un manque de compréhension.

«Même s’il y avait quelques exceptions, la plupart des éditeurs à qui j’ai parlé ne semblaient pas enthousiastes à l’égard des aspects autochtones du jeu et n’étaient pas intéressés par le marché autochtone nord-américain», explique-t-elle.

«Un bailleur de fonds européen a même fait des commentaires au sujet de mon nom, de mon apparence, disant que je n’étais pas “facilement identifiable” comme autochtone, et qu’il ne savait pas que les autochtones d’Amérique du Nord étaient encore vivants. Bien évidemment, le premier commentaire était désagréable, et le deuxième, irritant.»

La conceptrice de jeux a déclaré souhaiter voir la création d’une organisation qui préparerait le terrain pour éduquer les acheteurs et bailleurs de fonds internationaux potentiels, agissant comme un rempart pour vérifier les relations avant d’exposer les créateurs numériques autochtones à de potentiels effets dommageables et microagressions.

«Il faudrait mettre sur pied un comité de créateurs de médias numériques autochtones pour vraiment creuser la question et établir une série d’objectifs et d’étapes clés pour améliorer cette situation», suggère-t-elle.

Ayant entendu de nombreuses histoires semblables à celle de Meagan Byrne, imagineNATIVE, le plus important diffuseur de contenu cinématographique et télévisuel autochtone au monde, a commandé le guide Protocoles et chemins cinématographiques: Un guide de production médiatique pour la collaboration avec les communautés, cultures, concepts et histoires des peuples des Premières nations, Métis, et Inuit en 2019 et collabore avec le Bureau de l’écran autochtone (BEA) pour faire en sorte que le document soit consulté et utilisé.

«Notre espoir [avec le guide] et ce que nous avons vu, c’est que les créateurs puissent maintenant l’envoyer à l’avance aux bailleurs de fonds ou partenaires de production potentiels», explique Adriana Chartrand, gestionnaire d’institut chez imagineNATIVE. «Ainsi, au lieu d’avoir à vous expliquer et à expliquer votre humanité, vous pouvez envoyer ce document et dire “Merci de lire cela et on s’en reparle”.»

Fondé en 2017, le BEA travaille également à l’élaboration d’une série de programmes afin de soutenir les créateurs des Premières Nations dans le secteur, comprenant des services d’avis juridique, de médiation, de résolution de conflits, de soins en santé mentale et potentiellement de consultation des aînés.

«Je considère vraiment que le BEA panse actuellement les blessures subies», affirme Jesse Wente, directeur général du BEA et président du conseil d’administration du Conseil des arts du Canada.

«Sincèrement, le nombre de microagressions dont nous avons été mis au courant est énorme et choquant, même pour moi… C’est arrivé avec certains de nos créateurs les plus expérimentés, ce qui est troublant et indique la façon déplorable dont certains membres de l’industrie abordent ces enjeux.»

Il ajoute que compte tenu de son personnel réduit (trois employés) et du fait qu’il «n’a jamais été financé adéquatement depuis sa fondation par le gouvernement fédéral», le BEA a mis du temps à mettre sur pied ses programmes, bien qu’ils soient absolument nécessaires. «Ces microagressions ne sont pas si “micro” que ça, dit-il. Beaucoup d’entre elles surviennent aux plus hauts niveaux.»

«Ce qui m’inquiète, c’est qu’à moins qu’il y ait une évolution des meilleures pratiques au sein du secteur, de l’ensemble du secteur, les créateurs de contenu autochtones abandonneront la partie… En fait, les microagressions font en sorte que les gens veulent quitter le milieu, et ce serait une perte pour notre communauté, c’est clair, mais également une perte énorme pour le secteur et le pays.»

La plus grande part de ce qu’il appelle le travail de «bonnes relations» est fait au pays, explique-t-il, puisqu’on a beaucoup moins de contrôle sur les productions internationales et étrangères. Il suggère qu’une ligne budgétaire relative aux compétences culturelles pourrait aider, si c’était admissible dans les projets de financement. Un peu comme ce que les productions ont fait pour compenser les coûts engendrés par la COVID-19.

Il suggère également que les recommandations du document Protocoles et chemins cinématographiques devraient s’appliquer à tout projet pour lequel une demande de crédits d’impôt est faite.

«Ce sont les personnes autochtones, avec nos cousins afro-descendants et nos autres pairs racialisés, qui ont fait le gros du travail…, pas ceux qui représentent la majorité du secteur. Et s’ils veulent que cessent les microagressions, ils doivent y mettre fin», dit-il.

«Il faut que ce soit clair que c’est tout simplement inacceptable, qu’il s’agisse d’un plateau autochtone ou non. En fait, ça n’a pas d’importance, parce qu’en vérité, toutes ces productions sont faites sur un territoire autochtone de toute façon.»

Pendant ce temps, des gains ont été réalisés alors que des partenaires de financement comme le FMC exigent la reconnaissance du guide Protocoles et chemins cinématographiques et son utilisation s’il y a lieu. Le FMC a fait la promotion du guide dans le cadre de festivals internationaux comme la Berlinale en Allemagne et le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand en France. Jesse Wente confirme que des partenaires de vidéo en ligne de premier plan ont également reçu le document et savent que le BEA est une ressource à leur disposition.

Mais il semble qu’il y ait encore du travail à faire pour fournir le contexte et l’éducation nécessaires à l’échelle internationale, et offrir ainsi un soutien additionnel aux créateurs. Il y a également une opportunité d’élargir la portée et de générer une base plus large pour ce travail, puisque des parallèles évidents peuvent être faits entre le contenu média autochtone et d’autres formats de contenu audiovisuel, de même qu’avec des membres d’autres communautés culturelles.

«Je voudrais mettre au défi les gens de l’industrie. S’ils voient cela comme un enjeu et peuvent reconnaître que c’en est un, et espérons que c’est maintenant le cas, qu’ils nous le montrent, dit-il. Montrez-nous l’importance que vous lui accordez en passant à l’action et en réduisant les risques pour nous.»

3.3 - La production virtuelle en plein essor

Lin Luo Virtual Production
Credit: Lin Luo

À la frontière du jeu vidéo et des effets spéciaux

Des avancées technologiques qui proviennent notamment de l’industrie du jeu vidéo permettent de réduire les équipes de tournage, de filmer d’une façon sécuritaire en temps de COVID-19 et de potentiellement réduire les coûts de production pour le cinéma et la télé. Regard sur la production virtuelle, dont la popularité est appelée à exploser au cours des prochaines années.

PAR MAXIME JOHNSON

Dans un grand studio d’enregistrement, l’acteur Pedro Pascal marche dans son costume de chasseur de primes devant un écran géant. Les décors futuristes de la série The Mandalorian s’affichent derrière lui, l’éclairent d’une façon réaliste et s’adaptent aux mouvements de la caméra. Au lieu de suivre l’acteur devant un écran vert, le réalisateur voit sur son moniteur le résultat final de la scène.

«Avec les productions virtuelles, la préproduction, la production et la postproduction sont toutes amalgamées», observe David Dexter, directeur du Screen Industries Research and Training Centre (SIRT). Le centre ontarien a récemment mis en place un studio de production virtuelle pour aider les créateurs canadiens à se familiariser avec la technologie.

Au cours des années, trois technologies ont évolué pour permettre le développement de la production virtuelle: les ordinateurs, les écrans (et systèmes de suivi des caméras), et les moteurs de jeux vidéo.

Les ordinateurs sont en effet désormais assez puissants pour effectuer le rendu des scènes photoréalistes en temps réel. Les écrans DEL offrent quant à eux une taille et une résolution suffisantes pour afficher un décor virtuel derrière les acteurs, et le contenu peut s’adapter aux mouvements de la caméra. Des moteurs de jeux, qui permettent habituellement de concevoir des jeux vidéo, ont pour leur part été adaptés pour les besoins des cinéastes.

Sébastien Miglio, directeur de la gestion de produit chez Epic Games, et son équipe ont peaufiné leur logiciel pour qu’il puisse être utilisé par les professionnels du cinéma et de la télé et non seulement par des experts du jeu vidéo.

«On a ajouté plusieurs fonctionnalités, comme un outil pour naviguer dans le décor numérique avec un casque de réalité virtuelle et placer ses caméras», confirme-t-il. «On offre d’ailleurs des programmes de mise à niveau pour les gens de l’industrie.»

Selon lui, quelques semaines de formation devraient être suffisantes pour s’atteler à la production virtuelle.

Là pour rester

Il n’y a pas que les séries de science-fiction qui peuvent bénéficier de la production virtuelle. La technologie peut aussi être utilisée pour recréer une forêt ou une ville lointaine, par exemple.

La possibilité de tourner en studio des scènes qui se déroulent à l’extérieur est d’ailleurs un atout important de la production virtuelle en temps de COVID-19, voire au-delà du contexte pandémique. «Il est possible d’envoyer une petite équipe sur le terrain pour numériser l’environnement, puis de tout tourner au studio», note David Dexter.

Non seulement la production virtuelle évite les déplacements coûteux (et difficiles en temps de pandémie), mais elle permet aussi de facilement filmer à nouveau des scènes longtemps après le tournage principal.

«On peut également passer d’un décor à l’autre en quelques minutes seulement», ajoute le directeur du SIRT.

Une question de temps

Il existe peu de grands studios conçus pour les productions virtuelles en ce moment. Outre Pixomondo et le SIRT à Toronto, on en trouve notamment à Montréal, aux studios MELS, et à Vancouver, grâce à un partenariat entre Animism Studios, ShowMax Event Services et The Sawmill.

La technologie permet de réduire les coûts de production, mais il faut investir beaucoup pour y avoir accès. «Le problème, ce sont les écrans DEL», résume David Dexter du SIRT. «Un écran comme ça peut facilement se louer 50 000 $ à 60 000 $ par jour.»

«Pour l’instant, la technologie est surtout pour les gros budgets», opine Jonny Slow, PDG de la firme d’effets spéciaux Pixomondo, qui a ouvert en janvier 2021 un grand studio de productions virtuelles à Toronto. Pour ce dernier, ce n’est toutefois qu’une question de temps avant que les prix des grands écrans DEL diminuent et que les plus petites productions puissent y avoir accès.

En attendant, d’autres types d’écrans moins chers peuvent être utilisés, comme ceux pour les événements extérieurs, pour projeter une image floue en toile de fond d’un gros plan.

D’autres petites productions intègrent quant à elles seulement certains éléments de la technologie. La chaîne franco-ontarienne TFO ne tourne pas devant un grand écran DEL, ce qui serait trop onéreux, mais plusieurs de ses émissions jeunesse, comme Minivers, ont adopté depuis 2016 des décors virtuels, conçus avec Unreal Engine.

«Nous sommes les premiers au monde à avoir intégré un moteur de jeux à la télévision», rappelle Cliff Lavallée, directeur des services LUV chez TFO.

Plusieurs outils existent d’ailleurs maintenant pour faciliter le travail des plus petites productions, comme la boutique d’objets 3D Marketplace d’Unreal. Conçue à la base pour les développeurs de jeux vidéo, la boutique offre de plus en plus d’objets photoréalistes abordables pour la télé et le cinéma, comme des meubles ou des arbres, ce qui facilite la création de nouveaux décors.

«Ça coûte des peanuts», observe Renée Paradis, productrice au contenu enfance chez Groupe Média TFO. «Ça dépend de ce qu’on veut produire, mais on peut faire simple et avoir un décor en une semaine. Il faut juste s’assurer que tout fonctionne. On peut ensuite tourner pendant un mois dans le même décor.»

«L’arrivée de la COVID-19 a créé une occasion parfaite pour l’adoption de la production virtuelle», estime Jonny Slow. Et la technologie devrait survivre à la pandémie, selon lui.

«Une fois que les réalisateurs touchent à la production virtuelle, ils ne veulent plus revenir en arrière.»

Le plus gros défi pour les productions virtuelles en 2021 pourrait d’ailleurs être de trouver des installations disponibles, la demande étant pour l’instant plus grande que l’offre.

Les productions virtuelles sont encore principalement une affaire de gros budgets. Mais avec un peu de volonté et de créativité, les plus petits producteurs peuvent aussi profiter des avantages de la technologie.

Approfondir le sujet

À lire: 

À écouter: 

3.4 - La production virtuelle: une alliée de l’environnement

PAR ZENA HARRIS, ANDREW ROBINSON, JENNIFER SANDOVAL, GREEN SPARK GROUP

Zach Lipovsky, cinéaste, Mark Rabin, PDG de Portable Electric, et Adrienne Pfeiffer, stratège de la durabilité environnementale, sont optimistes quant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre pouvant résulter de la production virtuelle.

Quels sont les avantages de la production virtuelle en matière de durabilité?

Lipovsky: On peut filmer des scènes se déroulant dans plusieurs lieux dans un même espace, sans aller nulle part. Comme il n’y a pas de lieu de tournage et de construction de décors, il n’y a pas de matériaux à jeter. Le plus grand avantage, c’est que l’équipe peut rester au même endroit, ce qui réduit les déplacements routiers et aériens.

En fait, la réduction de carbone a été mesurée lors de la dernière saison de la série Mandalorian de Disney+, où la production a tourné la moitié de la série dans un seul environnement scénique qui a fourni plus de 60 toiles de fond. Certaines scènes ont même été tournées sur un petit terrain à l’arrière du studio.

L’équipe de production a ainsi vu une baisse importante des coûts de construction de décors et de déplacements, tout en réduisant les émissions de carbone de 30 tonnes, soit l’équivalent du carbone séquestré par 39 acres de forêt américaine pendant 1 an, selon l’Agence de protection de l’environnement (EPA) des États-Unis.

Rabin: C’est un bon exemple où nous avons vu une réduction de 100 % des gaz à effet de serre (GES). Et ce n’est pas juste les GES. C’est aussi les particules qu’on respire lorsqu’on est à proximité d’une génératrice et le bourdonnement constant qu’elle produit. Il y a donc d’autres avantages découlant du fait d’avoir une source d’énergie propre qui est parfaitement silencieuse.

Qu’en est-il des réductions de coûts?

Pfeiffer: Juste pour les déplacements, nous pouvons voir une réduction des vols nécessaires pour amener l’équipe vers des lieux de tournage reculés, souvent pour un bref plan d’ambiance. Nous avons également observé des réductions de coûts dans l’hébergement, les services de traiteur, les transports routiers et l’expédition d’équipement. Tout ça présente clairement des avantages tant pour les budgets de production que pour l’environnement. Même si nous ne pouvons pas éliminer en totalité la construction de décors, nous pouvons nous attendre à une réduction de 30 % à 70 % des matériaux utilisés en raison de plus petits plateaux.

Compte tenu du lieu fixe de la deuxième saison de Mandalorian, j’ai aussi pu mettre en place des mesures additionnelles innovatrices en utilisant un digesteur de compost sur place pour traiter les déchets alimentaires et pratiquer la boucle fermée. Il s’agit d’un modèle circulaire consistant à conserver les matières dans le système, dans ce cas-ci les déchets alimentaires, de les transformer et de les réutiliser dans le sol. Ainsi, notre digesteur de compost sur place a transformé un total de presque 3 tonnes (5 932 lb) de déchets alimentaires, évitant ainsi la production de quelque 2 tonnes métriques de CO2.

La production a également enregistré une réduction de 70 % de sa consommation d’énergie grâce à l’utilisation d’un éclairage à DEL, au lieu des ampoules incandescentes équivalentes.

3.5 - Sécurité et durabilité environnementale sur le plateau

Green Production 1
Credit: Nandita Ratan

Les deux font la paire

Alors que la production audiovisuelle exige dorénavant une préparation privilégiant la santé et le bien-être de tous, l’industrie s’emploie à repenser les processus entraînant du gaspillage et à reconsidérer la façon dont elle pourrait adopter des pratiques plus durables.

PAR ZENA HARRIS, ANDREW ROBINSON, JENNIFER SANDOVAL, GREEN SPARK GROUP

Peut-on créer des contenus audiovisuels sans nuire à l’environnement?

En quête de solutions, l’industrie du cinéma et de la télévision s’est penchée sur la «production durable», un terme décrivant les mesures collectives qui visent à réduire les impacts environnementaux négatifs, tout en contribuant à la santé et au bien-être de la communauté.

Les maisons de production, studios, entreprises de création, fournisseurs et équipes de tournage sont plus mobilisés que jamais pour agir en faveur de la durabilité environnementale. Résultat: la liste des ressources et partenaires disponibles pour aider les productions à réduire leur impact environnemental ne cesse de s’allonger.

Nous observons ce mouvement vert d’un bout à l’autre du Canada avec des programmes comme Reel Green en Colombie-Britannique et au Manitoba, et Ontario Green Screen (OGS) en Ontario. Au Québec, des collaborations entre des producteurs de contenu de premier plan et le Conseil québécois des événements écoresponsables (CQEER) ont vu le jour.

Ces programmes axés sur la durabilité sont nécessaires pour tisser des liens entre les systèmes locaux, faciliter la mobilisation des équipes de tournage et assurer la cohérence au sein de l’industrie.

Concrètement, l’OGS fournit des outils tels que des séances de formation en production durable à tous les travailleurs de l’industrie du cinéma en Ontario, en plus de stimuler l’appui de la communauté à l’égard de leur stratégie.

Le CQEER a quant à lui créé un répertoire des fournisseurs écoresponsables mis à la disposition des entreprises de production et offre des webinaires qui célèbrent les productions écoresponsables.

«Jusqu’à tout dernièrement, il n’y avait pas de structure commune et identifiable pour la production durable dans la région du Grand Toronto», explique Mona Rauf, superviseure en environnement à Toronto. «Grâce à l’OGS et à plus de maisons de production qui se mobilisent pour la réduction de leurs déchets, il semble y avoir un mouvement clair dans cette direction.»

Des efforts semblables s’accélèrent à l’échelle mondiale: l’initiative internationale Creative Industries Pact for Sustainable Action a été lancée dans le cadre de la COP25 en 2019 dans le but de fournir un cadre commun en matière de durabilité pour les organisations de l’industrie.

À ce jour, plus de 20 organisations canadiennes et près de 100 organisations aux quatre coins de la planète ont signé le pacte.

Cela dit, nous nous sommes retrouvés avec une pandémie sur les bras: nous devons donc prendre des mesures relatives à des enjeux cruciaux de santé et de sécurité, en plus de la santé de notre planète, pour faire en sorte que notre industrie puisse continuer à fonctionner pour les années à venir.

Des sources d’énergie plus propres

La sensibilisation de l’industrie du divertissement à l’égard de la durabilité s’était intensifiée avant la pandémie, se concentrant sur trois zones d’impact principales: la consommation de carburant, l’utilisation d’énergie et les déchets.

La consommation de carburant est la plus importante source d’émissions de gaz à effet de serre d’une production, quelle que soit sa taille. En effet, près de la moitié de l’empreinte de carbone totale d’une production découle de la consommation de carburant requise pour transporter l’équipement, les gens et les matériaux vers les studios et lieux de tournage, de même que des génératrices utilisées pour alimenter les plateaux.

En 2019, on estime que les productions en Colombie-Britannique ont consommé neuf millions de litres de carburant diesel. De plus, le Screen New Deal (un rapport de 2020 de la British Academy of Film and Television Arts et de Arup Group) estime qu’une superproduction génère en moyenne 2 840 tonnes de CO2. C’est l’équivalent de plus de 8 700 automobiles conduites pendant toute une année, selon le Calculateur des équivalences des émissions de gaz à effet de serre de Ressources naturelles Canada.

Par conséquent, la réduction des émissions de carbone provenant de la combustion du diesel et d’autres carburants est une cible essentielle des productions et lieux de tournage qui se sont dotés d’objectifs d’action pour le climat.

Bien que les génératrices au diesel demeurent la source d’électricité mobile privilégiée sur la plupart des plateaux de cinéma et de télé, rien n’empêche de faire les choses autrement. En effet, de l’équipement de pointe et une utilisation ingénieuse des technologies de batterie permettent dorénavant de réduire la durée de fonctionnement des génératrices au diesel.

«Les productions de film sont de plus en plus efficaces. Pour tout, de l’éclairage DEL à l’écran vert en passant par les caméras», affirme Mark Rabin, PDG et fondateur de Portable Electric. «Avec l’éclairage à DEL qui s’est beaucoup amélioré et qui est maintenant omniprésent, la consommation d’énergie pour obtenir la même quantité de lumière est de 10 fois inférieure, ce qui est de très bon augure, puisqu’on peut alors utiliser des génératrices plus petites et plus efficaces.»

Vancouver est un chef de file de l’alimentation par batterie, avec trois fournisseurs de l’industrie qui réussissent à répondre à la demande des productions locales, en plus d’un partenariat avec le Reel Green Clean Energy Committee, qui a pour but d’innover en matière de réduction du carbone et d’électrifier les sources d’énergie.

En 2019, le conseil municipal de Vancouver a également adopté une motion visant à éliminer l’utilisation des génératrices au diesel par les industries du cinéma, de la télévision et des événements en offrant une réduction sur le prix des permis si une production peut démontrer qu’elle utilise des sources d’énergie propre.

Adopter une approche circulaire

Il y a une quantité énorme de déchets dans l’industrie du cinéma, et le défi est on ne peut plus évident: afin de répondre aux impératifs en matière de coûts et d’échéances, de grands plateaux sont construits, pour finir dans un site d’enfouissement à la fin de la production.

Pendant des décennies, les maisons de production ont utilisé une approche linéaire: les matériaux arrivaient, étaient consommés et ensuite jetés après une brève utilisation, ce qui ne constituait pas une pratique durable. L’amélioration de la gestion des déchets, voilà ce qui a motivé Kelsey Evans, auparavant employée de bureau de production, à lancer en 2010 Keep it Green Recycling, une entreprise de recyclage spécialement pour l’industrie.

Aujourd’hui, son entreprise de gestion des déchets dessert presque la totalité des productions dans la région métropolitaine de Vancouver. Elle met en place des programmes de recyclage et zéro déchet sur mesure de manière à éviter que les déchets se retrouvent dans des sites d’enfouissement et à réduire l’empreinte carbone des productions.

«Je suis étonnée de voir à quel point l’industrie du cinéma en Colombie-Britannique a intensifié ses efforts et pris ses responsabilités relativement à l’impact de ses déchets», affirme Kelsey Evans. Elle ajoute que depuis que son entreprise a mis sur pied un centre de réutilisation des matières, «399 tonnes de matière ont été détournées des sites d’enfouissement»

Bien que le recyclage joue un rôle important dans le réacheminement des déchets, il ne doit jamais être l’objectif principal, car un taux élevé de recyclage est l’indice d’une surconsommation. Il doit être utilisé en dernier recours, lorsque les matériaux ne peuvent pas être réutilisés.

Une approche circulaire réutilise les matières, ce qui limite les déchets et réduit la nécessité d’extraire, de produire et de consommer de nouvelles matières. Haley Dolan, superviseure de la durabilité, a utilisé cette approche dans le cadre d’une production récente de Netflix, en privilégiant le don de matières:

«Nous avons envoyé la nourriture à Food Rescue et Feed it Forward, et nous avons fait don des restes de peinture et de fournitures à Ready Set Recycle», explique-t-elle. Les accessoires et les costumes ont été remis à des organismes sans but lucratif comme New Circles, qui aide les nouveaux arrivants au Canada, car «nous faisons tout en notre possible pour éviter que des matières se retrouvent dans les sites d’enfouissement.»

S’adapter pour une plus grande sécurité

Avec l’application des directives sanitaires entourant la COVID-19, certains s’inquiètent que les efforts de l’industrie en matière de durabilité soient mis en veilleuse. Étant donné que les articles jetables sont considérés comme une mesure de prévention, l’utilisation de bouteilles d’eau en plastique et d’ustensiles jetables sera encouragée, et le recours à des véhicules additionnels pour déplacer les équipes pourrait générer des émissions de carbone supplémentaires.

Mais choisir entre la sécurité et la durabilité est un faux dilemme.

En effet, les produits jetables ne doivent pas nécessairement être faits de plastique, puisque des options compostables existent sur le marché. De plus, une déclaration émise récemment par des experts en santé de plus de 18 pays a confirmé à Greenpeace que les articles de plastique jetables n’étaient pas plus sécuritaires. «Les articles réutilisables peuvent être employés de manière sécuritaire en appliquant les règles d’hygiène de base», ont-ils conclu.

La pandémie a forcé les productions de cinéma et de télévision à s’adapter. Ce faisant, elle a donné l’occasion aux professionnels de l’industrie de repenser entièrement leurs méthodes et leur façon de travailler.

Des distributrices d’eau sans contact sont maintenant utilisées sur les tournages pour assurer un accès sécuritaire à l’eau et réduire les déchets de plastique; des récipients en aluminium, qui peuvent être recyclés indéfiniment, sont utilisés.

Reel Green et la Sustainable Production Alliance de la Guilde des producteurs américains ont élaboré des lignes directrices pour gérer des plateaux sécuritaires et durables dans un livre blanc intitulé A Greener Return to Sustainable Production.

Les «Return to Work Guidelines» exposent également des façons de créer des espaces de travail plus sains et plus résilients.

Pendant que les productions étaient sur pause, les membres des équipes ont été sollicités pour donner leur avis au moyen de diverses tribunes, dont un sondage de Reel Green envoyé aux employés de l’industrie du cinéma de la Colombie-Britannique portant sur les changements qu’ils désiraient voir lorsque les productions reprendraient.

Chez la majorité des répondants, des lieux de travail plus sains et plus écoénergétiques, ainsi qu’une réduction des impacts négatifs sur l’environnement arrivaient en tête de liste.

Le jeu vidéo, version durable

En plus des productions de film et de télé, l’industrie du jeu devient elle aussi plus écoresponsable. Des organisations comme Playing for the Planet Alliance développent des mesures de réduction du carbone et de sensibilisation aux enjeux environnementaux.

Processus numériques (et autres astuces)

Bien que toutes les productions ne soient pas encore rendues là, on observe une volonté de fonctionner de manière plus durable en suivant les directives sanitaires imposées par la COVID-19. Et l’une des transformations les plus visibles est le passage au numérique.

Ainsi, des applications numériques telles que Scriptation, Shot Lister et Scenechronize sont utilisées pour réduire la quantité de papier en circulation. La réduction du papier utilisé constitue une répercussion positive indirecte de la COVID-19, mais une fois la pandémie derrière nous, il n’y a aucune raison de revenir au taux de consommation antérieure.

Comme les réunions sont tenues en ligne, l’industrie a également démontré qu’une approche numérique était possible afin de réduire les émissions liées aux déplacements.

Toutefois, certaines directives nuisent aux pratiques durables: «L’équipement de protection individuelle pour la COVID-19 a créé une quantité scandaleuse de déchets. Tout est recouvert de plastique, et nous utilisons plusieurs masques chaque jour par personne, ce qui est coûteux», affirme Haley Dolan. Elle a ajouté à son plateau des bacs de recyclage TerraCycle, aussi coûteux, pour les équipements de protection individuelle.

Mona Rauf, superviseure en environnement, a quant à elle apporté les équipements de protection individuelle d’un récent projet à un centre qui convertit ces déchets en énergie.

Le Dr Adam Lund, directeur médical d’Odyssey Medical, a participé activement à l’élaboration des directives relatives à la COVID-19 pour les productions de cinéma et de télévision en Colombie-Britannique. Il établit un parallèle entre les objectifs et les défis de la durabilité environnementale, et la résilience des personnes qui travaillent dans l’industrie du cinéma.

«Les initiatives de durabilité contribuent à la santé à long terme de toute la planète», a-t-il déclaré. «Il est primordial de prendre des décisions qui protégeront les générations futures… Les pratiques quotidiennes ne semblent peut-être pas avoir des résultats aujourd’hui, mais elles sont les investissements essentiels dont nous avons besoin à long terme.»

Un changement de paradigme

Alors que la crise climatique d’aujourd’hui et ses impacts prennent de l’ampleur à un rythme alarmant, «ce serait bien qu’il y ait une plus grande responsabilisation dans chaque municipalité et au sein des entreprises», soutient Haley Dolan.

«Les productions de films devraient être récompensées si elles peuvent construire des plateaux de manière réutilisable. Il doit y avoir des incitations à réduire les déchets.»

Malgré les défis qui l’attendent, l’industrie du film et de la télévision a tout ce qu’il faut pour réussir. «Nous sommes des créateurs», lance Mark Rabin. «Faisons preuve de créativité et racontons des histoires passionnantes sans laisser une trop grande empreinte sur la planète.»

Avec la COVID-19, on observe une collaboration et une mobilisation sans précédent; il pourrait même s’agir d’une occasion pour transformer les méthodes et les pratiques de production.

Plus les options durables seront activement recherchées, plus les partenaires et les solutions émergeront. Un virage vert se produit présentement au Canada, et il ne passe pas inaperçu.

Alors que de plus en plus de maisons de production investissent et planifient pour mener à bien des productions sécuritaires, saines et durables, une réduction importante des impacts en matière d’émissions de carbone est à prévoir. Une réduction nécessaire pour assurer la pérennité de l’industrie du divertissement pour de nombreuses années à venir.

Que peuvent faire les productions aujourd’hui?

Meilleures pratiques pour créer un projet sécuritaire et durable:

  • La production durable n’est pas le travail d’une seule personne. Imposez la durabilité à l’équipe et inspirez-la à chercher des solutions. Gardez le sujet à l’ordre du jour de toutes les réunions.
  • Intégrez la durabilité dans votre budget et à toutes les étapes d’une production.
  • Faites la promotion des principes de design durable et d’économie circulaire dans chaque service.
  • Réutilisez les matériaux de construction des plateaux afin de les garder dans le réseau.
  • Carburant et énergie
    • Envisagez d’utiliser les technologies d’effets visuels pour réduire le nombre de lieux de tournage (ce qui entraînera aussi d’importantes économies de coûts).
    • Alimentez le plateau avec des sources d’énergie alternatives pour remplacer les carburants fossiles/génératrices.
    • Connectez-vous au réseau électrique dans la mesure du possible.
    • Ayez moins recours à l’avion.
  • Tenez des réunions par téléconférence.
  • Matériaux et déchets
    • Réduisez le plus possible l’utilisation des articles jetables; les bouteilles d’eau réutilisables sont toujours une option acceptable et sécuritaire.
    • Remplacez le plastique par des produits 100 % compostables (fibres de bois).
    • Utilisez des produits et services locaux et écoresponsables.
    • Réutilisez et recyclez.

Approfondir le sujet

À lire

À écouter

3.6 - Une nouvelle réalité sur le plateau

En temps de pandémie, la production audiovisuelle canadienne s’adapte pour continuer à créer

Outre les contrats perdus ou reportés, les coûts supplémentaires pour les boîtes de production et la pause imposée du printemps 2020, les artisans de l’industrie audiovisuelle canadienne ont tout de même su tirer du bon de la crise de la COVID-19. 

Après un retour sur les plateaux tant attendu selon des règles sanitaires très strictes, qui aurait pu anticiper que les contraintes de production allaient mener à des coups de génie de créativité et qu’elles pourraient aussi faire avancer la cause du consentement? 

Une poignée d’artisans d’un peu partout au pays ont accepté de partager leur expérience.

PAR CATHERINE DULUDE

Au-delà des lignes directrices mises en place dans de nombreuses provinces et territoires grâce à la collaboration entre l’industrie et le gouvernement, les producteurs ont mis au point des protocoles sanitaires afin de ramener les équipes sur les plateaux. Nombre d’entre eux ont même embauché des responsables de la COVID-19, qui devaient assurer le respect des règles sanitaires, la gestion de l’équipement de protection et le nettoyage des lieux.

Une préparation qui prend du temps, et une logistique qui engendre des coûts. Le producteur d’Eagle Vision, Kyle Irving, soutient que les budgets ont dû être ajustés à la hausse, de l’ordre de 8 à 10 %, pour se conformer aux normes sanitaires de production. «Chaque fois qu’on coupe, on doit attendre que les comédiens mettent leur masque avant de pouvoir les approcher. En fin de compte, c’est une vingtaine de minutes par jour. Nous avons dû ajouter des jours de tournage, et chaque journée coûte environ 300 000 $».

Nicole Loewen est la superviseure Covid sur le plateau de la série Le fardeau de la preuve (Burden of Truth), produite par Eagle Vision au Manitoba. Dans son rôle, elle a notamment collaboré avec le département des accessoires, qui avait besoin de soutien supplémentaire. «Dans des scènes où les comédiens devaient manger, nous devions nous assurer que les accessoires, comme les couverts, étaient nettoyés à maintes reprises durant le tournage. Nous avons fait beaucoup de préparation avant de tourner afin d’assurer la sécurité des gens.»

Au département du maquillage, la question sanitaire est centrale et entraîne aussi des coûts. Sandra Blanc, de Montréal, est maquilleuse sur le plateau de la série Un vrai selfie diffusée sur Unis TV. Elle a dû revoir ses pratiques afin d’assurer la sécurité des participants, investissant quelques centaines de dollars au passage.

«J’ai acheté de l’alcool pour nettoyer mes produits, et même une petite machine UV pour désinfecter tout ce qui est en métal. J’ai acheté plus de pinceaux. Avant, on nettoyait à sec. Maintenant je ne fais plus ça. C’est un pinceau par personne.»

La routine de maquillage en soi a aussi changé. Elle demande aux gens de minimiser la conversation afin de réduire les risques de transmission. «Je trouve ça vraiment dur! Maquiller, c’est un moment de détente et d’intimité, mais là on ne peut pas échanger. Je trouve ça un peu étrange.»

Lindsay Somers, coordonnatrice à l’intimité sur des productions torontoises destinées à Netflix, agit à titre de consultante auprès des équipes de production afin de faciliter les scènes intimes entre les acteurs.

«Avant la COVID, on se concentrait surtout sur les scènes de nudité, l’intimité, la simulation de sexe, mais souvent on omettait les scènes de baiser. Mais maintenant, on sait bien que de s’embrasser représente un haut risque et nous devons parler avec les comédiens pour obtenir un consentement éclairé de leur part.»

Dans certains cas, il s’agit de modifier la chorégraphie pour éliminer le baiser entièrement.

Lindsay Somers soutient que l’attitude de l’industrie à l’endroit de son secteur a changé dans les derniers mois. «Je crois que notre rôle gagne le respect des producteurs. Le fait que ce soit appuyé par la communauté médicale, on voit que c’est pris au sérieux et qu’on prend le temps d’obtenir un consentement informé de la part des comédiens.» Lindsay espère que le métier de coordonnateurs en intimité pourra croître au cours des prochains mois et années.

Crédit photo: Productions Loft, Shauna Townley

Se retrousser les manches

En ces temps difficiles, les créateurs de l’industrie audiovisuelle ont fait preuve d’innovation et de résilience en mettant leur créativité (parfois immense) à profit.

En plein confinement, Télé-Québec a commandé deux séries télévisées: Les suppléants et L’école à la maison. «On a pris des décors existants, on a pris un vrai bureau de production vide car les gens étaient à la maison. On a tourné là, dans un bureau abandonné», raconte le réalisateur montréalais Sébastien Hurtubise, qui a réalisé 100 émissions d’une demi-heure en 12 semaines à peine.

Les méthodes de travail ont aussi été revues afin d’accélérer le rythme de production. Une régie de fortune a été mise sur pied dans la cuisine et un prémontage était fait en direct. Les animateurs ont été dotés d’un téléprompteur afin d’éviter qu’ils aient à apprendre leurs textes par cœur. Mais c’est sans doute l’inventivité de l’équipe qui a permis de faire de ces projets une réussite.

«On a dû travailler avec des gens multitâches. On a beaucoup utilisé les techniciens, pour que les animateurs les interpellent au lieu d’un public en direct, c’est devenu un running gag, la chorale des techniciens! On a trouvé une manière d’inclure ce qu’on avait», témoigne le réalisateur.

Kyle Irving souligne que les scénaristes ont eu leur rôle à jouer afin de respecter les règles et de permettre la production d’avancer. «Nous leur avons demandé d’écrire des scènes extérieures lorsque possible et de faire attention au nombre de comédiens qu’ils mettaient dans chaque scène.»

Journée des Autochtones en direct, les célébrations du solstice d’été sur les ondes d’APTN ont dû être repoussées, car il était impossible de rassembler physiquement des gens au mois de juin. Après de nombreuses tergiversations, l’équipe en est venue à une solution: une célébration du solstice d’hiver. Une série de cinq épisodes d’une heure diffusée durant la période des Fêtes.

«J’ai eu l’avantage de travailler dans la bulle Atlantique», dit Heather Frantsi, directrice de production de la série, qui a mené à bien la production des concerts à Halifax. «C’était parfois complexe, mais en même temps, ça a rendu les choses très simples. On devait embaucher une équipe locale et des artistes locaux.»

Toute la logistique de déplacement des artistes a aussi été octroyée à une compagnie de transport locale, permettant ainsi de réduire les risques de contamination des autres membres de l’équipe.

«Je vais assurément continuer à sous-traiter les transports à l’avenir. Ça a libéré l’assistant de production et ça a donné un contrat à une compagnie locale», soutient-elle.

En Alberta, Marie-France Guerrette, co-productrice aux Productions Loft, a tourné cet été Cow-boy urbain pour Unis TV. L’équipe de production a annulé tous les tournages prévus hors province, au profit de tournages locaux.

«Quand on a repris les tournages de Cow-boy urbain, il y avait souvent une hésitation de la part des acteurs», soutient-elle. «Il fallait essayer de les rassurer avec nos protocoles ou dans certains cas, dire au diffuseur que l’acteur n’était pas confortable et qu’il faudrait changer les plans.»

Crédit photo: Productions Loft, Shauna Townley

Espoir pour l’avenir

Tous s’entendent toutefois pour dire que les équipes étaient électrisées de pouvoir retourner travailler.

Même une fois le coronavirus sous contrôle, certaines méthodes et pratiques mises en œuvre pendant cette période difficile resteront en place, car les créateurs en ont tiré de nombreuses et précieuses leçons.

Qui aurait pu imaginer qu’une crise sanitaire puisse faire avancer la cause du consentement… Et pourtant! 

Puis il y a, bien sûr, le sentiment de fierté de faire partie d’une industrie qui fait du bien. Sébastien Hurtubise se réjouit de la consommation accrue, au pays et à travers le monde, de contenu audiovisuel pendant la pandémie.

«Souvent, on dit que nous autres, en temps de guerre, on serait les premiers coupés. Ou on ressort la bonne vieille phrase “on ne sauve pas des vies”. C’est vrai qu’on ne sauve pas des vies, mais cette fois-là, j’ai vraiment senti qu’on a fait une différence.»

Il ajoute qu’en temps de crise, les gens ont besoin de se changer les idées. «Et là, tout d’un coup, notre métier est devenu important.»

4 - Élever la voix des créateurs

FMC RapportTendances Chapitre4 FR 1

 

PAR CATHERINE MATHYS, Directrice de la veille stratégique

Enfin en 2020, on a redécouvert le caractère essentiel du métier de créateur. On a toujours su qu’une histoire bien racontée pouvait déplacer des montagnes. Mais on ne savait pas encore qu’elle pouvait nous aider à traverser une pandémie mondiale. Ce sont les œuvres de tous ces créateurs qui nous ont permis de surmonter le chaos et la confusion. Nous nous sommes accrochés aux images, aux intrigues, aux personnages de tant de créateurs dont les œuvres nous ont accompagnés à travers la tempête, telle une prescription contre la morosité ambiante.

L’an dernier, presque toute la culture s’est arrêtée. En entamant cette pause forcée, l’occasion était toute désignée pour remettre les bases de l’industrie en question, pour laisser tomber l’inutile et prioriser l’essentiel. La pandémie, de concert avec de grands mouvements sociaux, a mis en lumière le racisme systémique et les autres formes de discrimination dans l’industrie des écrans. Elle a bien montré les fissures de certaines colonnes de l’écosystème. À travers les années, de grands discours sincères ont été prononcés, mais ils se sont avérés insuffisants. L’heure est à l’action pour faire tomber les obstacles qui empêchent toutes les formes de diversité de s’exprimer.

C’est le moment de raconter des histoires différentes, et de les raconter différemment. Tous ces mois confinés ont poussé l’adepte de culture à chercher autre chose, à développer de nouveaux réflexes, à faire de nouvelles expériences, à sortir de sa zone de confort. Ces histoires ne lui ont pas juste permis d’échapper à l’affligeante actualité, mais aussi, et surtout, de bâtir des liens, des connexions avec d’autres. Et si nous revenions à l’essentiel? Fabriquer des images qui créent des liens.

4.1 - L’équité raciale et l’industrie des médias

Favoriser l’inclusion à l’écran comme dans la vie

Le Canada est l’un des pays les plus multiculturels au monde. Or, la diversité des publics canadiens n’est représentée ni devant, ni derrière la caméra.

Des membres de communautés ethnoculturelles ou sous-représentées sont confrontés aux barrières systémiques, aux biais et aux stéréotypes à tous les niveaux dans l’industrie, et c’est pourquoi le Fonds des médias du Canada a embauché Diego Briceño et Tamara Mariam Dawit pour codiriger sa stratégie en matière d’équité et d’inclusion.

Après des années à se pencher sur la question de l’inclusion, une profonde réflexion interne et un besoin d’adopter des mesures concrètes après les événements de 2020 qui ont exposé les enjeux liés à la racialisation, le FMC a conçu une stratégie sur l’équité et l’inclusion centrée sur quelques objectifs clés.

Le but de cette initiative est d’engendrer une transformation en augmentant l’accès aux programmes, en orientant les décisions de l’organisation sous le prisme de l’équité et de l’inclusion, en mettant en place un système de collecte de données, en travaillant sur la composition de l’équipe interne et en développant les compétences de ses membres, afin de servir les communautés sous-représentées.

Voici comment Diego Briceño et Tamara Mariam Dawit comptent créer des opportunités pour les communautés sous-représentées afin qu’elles puissent participer et s’investir de manière plus étroite avec le FMC en 2021 et à l’avenir.

PAR ROSE CARINE HENRIQUEZ

Les coresponsables de l’équité et de l’inclusion au FMC savent qu’un décalage dans la représentation raciale en production audiovisuelle contribue à faire perdurer les iniquités dans le domaine. De nombreuses voix s’élèvent pour condamner le racisme et les inégalités, mues par le mouvement mondial Black Lives Matter. Il apparaît clair que nous vivons à une époque où nous remettons en question la légitimité de nos systèmes et de nos institutions.

Il reste un travail important à faire pour contrer la discrimination systémique, et le FMC ne fait pas exception.

Bâtir la solidarité

Né en Colombie, Diego Briceño, désormais installé à Montréal, est responsable de la stratégie d’équité et d’inclusion du FMC pour le marché francophone. Professionnel de l’industrie des médias depuis les 20 dernières années, il cumule les projets de documentaires, d’œuvres interactives et de fiction. Son souhait: mettre en place des mécanismes de solidarité dans les environnements médiatiques, comme il l’a fait par le passé à titre de cofondateur de la plateforme coop d’incubation Makila.tv, afin de réunir créateurs, industrie et publics.

«Notre défi consiste à façonner un système qui s’adapte aisément et qui permet d’intégrer naturellement de nouvelles idées et de nouvelles voix, dit-il. Nous souhaitons faire preuve de souplesse face aux transformations culturelles, médiatiques et technologiques.»

Crédit photo: Rose Carine Henriquez

Selon Diego Briceño, le problème sous-jacent du système sera mis en lumière en analysant les données, afin de faire tomber les barrières à l’entrée auxquelles font constamment face les producteurs racisés et sous-représentés. Elles comprennent l’accès aux réseaux, aux décideurs et aux organismes de financement.

Tamara Mariam Dawit, productrice et réalisatrice originaire d’Éthiopie et basée à Toronto, est responsable de la stratégie d’équité et d’inclusion du FMC. Son parcours illustre l’étendue de son dévouement envers les causes sociales. Grâce à son talent créatif pour la production, elle a donné naissance à des projets de musique, de documentaires, de téléséries et de films dramatiques. Elle a également peaufiné son expérience en travaillant à titre de conseillère pour le compte d’organismes comme le réseau EUNIC (European Union National Institutes for Culture).

«Nous souhaitons être plus proactifs en ce qui concerne les principes d’équité et d’inclusion, en veillant à ce qu’ils soient intégrés dans tous les domaines de travail du FMC, que ce soit les programmes, les politiques, la sélection du personnel ou les initiatives de financement», dit-elle.

Se faire (re)connaître

Une étude sur le statut des Canadiens afro-descendants, autochtones et racisés dans l’industrie des écrans au Canada en 2020, commandée par le Reelword Film Festival et par le Reelword Screen Institute, met en perspective les enjeux d’accès à l’emploi dans le marché anglophone. Par le biais de sondages et d’entrevues, l’étude met en relief le fait que les décideurs supposent, inconsciemment, que seuls quelques professionnels qualifiés sont issus des communautés ethnoculturelles.

Tamara Mariam Dawit convient qu’il est difficile pour les Afro-descendants, les Autochtones et autres personnes racisées, de saisir les mêmes occasions que les personnes blanches dans l’industrie parce qu’ils ont du mal à franchir la toute première étape, celle de se faire connaître.

«[Je me souviens du] premier atelier auquel j’ai pris part pour développer un projet à titre de productrice à temps plein [et] de la quantité de contenu que mes pairs blancs ont produit… Ils ont eu bien plus d’occasions que moi. La demande pour leur travail est toute autre», explique Tamara Dawit.

Selon Diego Briceño, les décideurs sont habitués à avoir des discussions avec des producteurs qu’ils connaissent et avec qui ils ont noué un lien de confiance. Cela rend difficile pour quiconque ne faisant pas partie de leur cercle d’avoir accès à la production de projets ou à du financement.

«Il faut consacrer énormément de temps et d’efforts, lorsqu’on est une [personne racisée] pour se joindre à des réseaux professionnels établis ou bâtir un nouveau réseau, puisque les liens se tissent sur la base de lieux communs culturels et identitaires qui s’acquièrent depuis la jeunesse», mentionne-t-il.

Il existe certes des bases de données pour trouver des talents et du personnel issus de la diversité ethnoculturelle, mais accéder aux cercles appropriés requiert beaucoup plus de travail que de créer un profil dans un répertoire.

«J’ai toujours fait progresser mes projets, même les plus particuliers, en sachant que le monde est bien plus vaste qu’un petit groupe de décideurs ou qu’un réseau précis», déclare Diego Briceño.

Tamara Mariam Dawit croit également que les diffuseurs et les distributeurs ont une perception faussée de ce à quoi le contenu canadien devrait ressembler. En ce moment, ce contenu est blanc et s’adresse principalement à un public blanc. «Cela fait partie de la réécriture du discours [sur] le type de contenu qui pourrait remporter du succès», dit-elle.

«Oui, des publics veulent regarder des émissions de télévision autochtones, des films sur une famille afro-descendante et des comédies sur des Sino-canadiens. Ces publics existent bel et bien. Les gens ne regardent pas seulement du contenu mettant en vedette leur propre groupe ethnique.»

Donner plus de contrôle aux créateurs racisés

D’après l’expérience de Tamara Mariam Dawit, les artistes issus de la diversité culturelle ne possèdent pas la propriété intellectuelle de leurs œuvres en totalité. Elle a elle-même rencontré des problèmes en travaillant sur son dernier film, Finding Sally, même si elle en est la scénariste et la réalisatrice. «Quand on ne possède pas les droits sur notre propre film, on n’a aucun contrôle sur la distribution, les ventes, les résultats créatifs ou le marketing.»

Cette situation délicate limite aussi l’accès aux sources de financement lorsqu’un des critères d’admissibilité comprend la titularité des droits sur des œuvres antérieures.

Crédit photo: Marcus Oleniuk

Tamara Mariam Dawit mentionne qu’elle a été décontenancée par le processus, qui a été jonché de nombreuses microagressions et de la banalisation du rôle qu’elle a joué dans un projet qu’elle a créé. «Cette situation négative m’a encouragée à poursuivre mon travail auprès du FMC afin de m’assurer que les prochaines femmes afro-descendantes ne se heurtent pas aux mêmes barrières et au racisme systémique auxquels j’ai été confrontée.»

Ce phénomène est caractéristique et pénible pour les personnes racisées parce que «seuls les professionnels chevronnés prennent des risques financiers avec de nouveaux projets. Bien sûr, la plupart de ces gens d’affaires, des titulaires de droits et des grandes sociétés sont blancs, anglophones et francophones au Québec, et jusqu’à récemment, il s’agissait d’hommes hétérosexuels», indique Diego Briceño.

Parmi les solutions pouvant garantir de meilleures occasions aux créatifs racisés de l’industrie, il faudrait envisager une plus grande inclusion des gens d’affaires sous-représentés, de même qu’un système plus équitable de partage de la propriété des œuvres et des revenus.

En résumé, les structures existantes nécessitent une transformation.

Voilà pourquoi le FMC mène également son initiative à l’interne: l’équipe et la culture au sein même du FMC, ce qui comprend le personnel, les gestionnaires, les membres du conseil d’administration, les membres du jury, les pigistes et les fournisseurs, doivent refléter les valeurs qu’incarne la stratégie.

Tout est dans les données

Diego Briceño et Tamara Mariam Dawit s’entendent pour dire que l’état actuel des choses est peu documenté et que la première étape pour le FMC sera de recueillir des données à cet égard.

«Avant de pouvoir régler un problème, il faut comprendre ce dont il s’agit. D’où l’utilité d’établir une perspective objective. Sans données, impossible de savoir où l’on va. C’est comme quand on scénarise un documentaire: c’est bien de montrer des témoignages, mais il faut toujours s’appuyer sur des faits qui puissent être validés par des statistiques. C’est ainsi que l’on s’approche de la vérité», dit Diego Briceño.

Tamara Mariam Dawit ajoute que le «premier examen des données ne sera pas joli, mais si nous ne nous imposons pas une période d’introspection, nous ne saurons pas quel est le point de départ ni comment nous pourrons mesurer le changement».

En ce qui concerne la cueillette de données au Canada, l’organisme torontois sans but lucratif Racial Equity Media Collective, fondé en 2019, agit à titre de défenseur de l’équité dans l’industrie du cinéma et de la télévision. Il analyse actuellement les données accessibles provenant d’organismes de financement public du Canada qui seront publiées en 2021. Très bientôt, il sera possible d’avoir un meilleur portrait de la situation, et les secteurs qui requièrent des améliorations urgentes seront plus facilement ciblés.

Outre le manque d’accès aux données fiables, le processus de collecte lui-même comporte son lot de défis. L’un d’eux, majeur, consiste à gagner la confiance des personnes interrogées.

«Certains groupes sont d’avis qu’ils ont déjà fourni assez d’information sans succès [et] ils pourraient se montrer suspicieux envers de nouvelles cueillettes de données», indique Diego Briceño. «Les enjeux de confidentialité sont toujours présents, d’autant plus que nous voulons nous assurer que les données fournies [par les communautés] seront utilisées à bon escient, et non à leur détriment.»

Afin d’aider l’industrie à aller de l’avant avec des approches partagées, le FMC travaille avec Téléfilm, des regroupements de bailleurs de fonds et des associations de partout au Canada pour établir de meilleures pratiques, des approches et des politiques quant à la collecte d’importants ensembles de données auprès des requérants. Le Fonds s’est aussi engagé à travailler avec des organismes au service des personnes autochtones, afro-descendantes et racisées afin d’établir une définition des données et de meilleures pratiques pour leur collecte.

Le fait d’avoir une référence quant aux personnes que rejoint, finance et soutient le FMC à l’heure actuelle et pour l’avenir lui permettra d’évaluer sa stratégie en matière d’équité et d’inclusion, de l’améliorer et de suivre de près les changements qui en découleront.

Un appel à tous 

Si les stratégies et les croyances liées à la lutte pour l’égalité sont aussi variées que les communautés qui composent le Canada d’un océan à l’autre à l’autre, les défis à l’atteinte de l’équité le sont tout autant.

Durant la majeure partie de notre histoire, ce sont les différences qui dominaient la conversation, au détriment de la mise en valeur et de la célébration de la diversité unique de chaque langue, culture, province et territoire.

Même si le Canada a la chance de compter de nombreux groupes distincts et fiers, il existe néanmoins un écart notable dans la représentation des cultures, et cela ne doit pas être ignoré. Au cours de la première consultation du FMC auprès de producteurs francophones racisés, les médias de langue française, en particulier, ont essuyé maintes critiques par rapport à cette divergence, traînant de la patte en comparaison avec le reste du Canada.

En 2019, Radio-Canada a publié une longue étude d’Angy Landry portant sur les 10 séries télé les plus populaires au Québec. L’étude, qui décortiquait la distribution des séries en catégories de rôles, a conclu que les œuvres télévisuelles étaient bien loin de représenter la diversité réelle de la population.

Seulement deux des 894 rôles ont été joués par des acteurs qui ne sont pas caucasiens. De plus, il ne s’agissait pas de premiers rôles au sens de la définition de l’Union des artistes (UDA).

«Il est difficile d’ouvrir des portes parce que les stations de télévision et les associations à prédominance blanche reflètent rarement les besoins et les désirs des personnes racisées», indique Diego Briceño. «Nous ne voyons pas le même niveau de discussion, d’engagement et de progrès [sur les questions de diversité]… La communauté de langue anglaise est mieux organisée et s’est dotée d’organismes mieux structurés possédant de l’expérience sur les préoccupations des groupes racisés.»

«Je suis moi-même un producteur racisé, dans le contexte québécois, et j’ai été surpris de constater le peu de discussions sur le racisme systémique et intériorisé entre mes collègues et moi jusqu’à présent», ajoute-t-il. «Nous [vivons] tous et toutes les mêmes difficultés, nous sommes tous et toutes témoins du manque flagrant de diversité sur nos écrans et nous nous plaignons souvent en exprimant notre profonde frustration, mais nous tenons la situation pour acquise.»

«Bien peu d’entre nous ont envisagé de prendre des mesures concrètes pour régler le problème, et encore moins de personnes sont vraiment passées à l’action.»

La langue joue aussi un rôle de barrière au progrès, les termes comme «racisme systémique» étant encore débattus au Québec. «Les francophones possèdent une culture qui a ses propres caractéristiques distinctives. La terminologie crée d’emblée un fossé dans la discussion sur le sujet.»

Toutefois, il continue à croire que le changement demeure possible, car la force du Québec se trouve dans sa vie communautaire, dans son habileté à collaborer et à déployer des efforts concertés. La situation au Québec n’est qu’un des exemples de lutte à mener pour trouver un équilibre et représenter activement les nombreuses différences culturelles qui animent le pays.

Malgré les défis que présente la situation actuelle, les événements de 2020 ont certainement sensibilisé le public et lui ont fait prendre conscience de ce qui se passe au sein de notre industrie et à l’extérieur, tant au Canada anglais que français.

«Je crois que les changements viendront en 2021, dès le dépôt de la nouvelle Loi sur la radiodiffusion. Il y a aussi des propositions d’envergure quant à l’avenir du FMC», indique Diego Briceño. «Ces réformes nous forceront à repenser la manière dont nous produisons, diffusons et finançons les médias. Ce sera donc une occasion à saisir pour ceux d’entre nous qui s’affairent à bâtir un système plus inclusif.»

«Tout le monde est conscient que nous vivons à une époque charnière.»

La loi avait été modifiée en 1991, et le nouveau projet de loi vise à promouvoir une plus grande équité et une meilleure inclusion. Or, ça reste à voir en pratique, mentionne Tamara Mariam Dawit, étant donné que la loi précédente comportait des volets visant à régler des problèmes similaires.

«La loi précédente a été adoptée pour souligner l’importance du contenu provenant des communautés ethnoculturelles au Canada, et à propos d’elles, mais personne ne l’a vraiment mise en application. Nous verrons bien si la nouvelle loi aura un effet similaire… Je crois que ce type de changement jouera un rôle fondamental», dit-elle.

Ouverture d’esprit

En ce moment, les gens sont appelés à agir pour promouvoir la diversité des personnes racisées, et un des objectifs du FMC est de lutter contre le racisme et l’homophobie, et contre la discrimination basée sur les handicaps, l’orientation sexuelle, la langue et la religion. Selon Tamara Mariam Dawit, il sera essentiel de communiquer pour sensibiliser les gens aux besoins et aux difficultés de ces groupes. Même si le travail accompli jusqu’à présent a touché principalement au racisme, le FMC a aussi commencé à se pencher sur l’accès dans d’autres domaines.

«L’intersectionnalité [ou la nature interconnectée des organisations sociales se chevauchant pour créer des systèmes de discrimination et de privilèges] revêt une importance cruciale à nos yeux, puisque nous sommes conscients que les groupes et les communautés se recoupent, échangent et interagissent les uns avec les autres», explique Diego Briceño. «L’intersectionnalité nous donne un portrait plus nuancé des individus qui ont du mal à se faire entendre et à obtenir du financement, à divers degrés.»

Alors que nous entamons 2021, le FMC se trouve à un tournant. Même si l’organisation est consciente de ne pas avoir toutes les réponses, elle s’est engagée, avec l’aide des coresponsables de l’inclusion, à faire ses devoirs et à adopter des mesures concrètes, à chercher des données et à les utiliser, et à lutter pour que notre industrie soit plus inclusive.

Le plan est de continuer à faire le point avec les communautés qui bénéficient du programme et à les consulter, à faire le suivi des progrès et à recueillir leur rétroaction lorsque nécessaire, dit Tamara Mariam Dawit. «Pour rendre nos systèmes résilients, il faut savoir écouter, vouloir apprendre et s’améliorer, tous main dans la main, pour faire bouger les choses.»

«En réalisant que nous partageons des objectifs similaires, indique Diego Briceño, il [deviendra] plus facile d’agir avec empathie dans un esprit de solidarité, et c’est là le fondement-même de notre stratégie en matière d’équité.»

4.2 - Pour combler les écarts d’opportunités

Illustration Niti Closing The Opportunity Gap
Credit: Niti Marcelle Mueth

La diversité dans les médias: l’avenir de l’industrie

Tant à Hollywood qu’au pays, les réalisateurs, scénaristes, producteurs et critiques de cinéma issus de la diversité ont réclamé une meilleure représentation dans les médias. 

Des projets comme Diggstown, Beans, Transplant et Kim’s Convenience prouvent qu’il y a des histoires à raconter. Et des superproductions internationales comme One Night in Miami, I May Destroy You et Small Axe démontrent qu’il existe un public pour ces histoires. 

Il est clair que ce n’est pas les talents qui manquent. Tout ce qu’il faut maintenant, c’est améliorer l’accès et le soutien.

Pour que l’industrie des écrans puisse prospérer, un accès, un appui, des opportunités et de la visibilité doivent être donnés à plus de communautés et de créateurs issus de la diversité.

Voici comment certaines organisations canadiennes projettent de réclamer leur place.

PAR CAROLYN HINDS

Collaboration au dossier: LAURA BEESTON

Au cours de l’été 2020, des cinéastes canadiens afro-descendants ont demandé à l’industrie de reconnaître le racisme systémique, les obstacles et la discrimination auxquels ils sont confrontés. Et c’est ainsi qu’est né le Bureau de l’écran pour la communauté noire.

Se joignant à des organisations telles que le Reelworld Film Festival, imagineNATIVE, BIPOC TV & Film et d’autres qui travaillent pour l’équité, le conseil d’administration du Bureau de l’écran pour la communauté noire a établi un cadre clair des changements qu’ils souhaitaient voir dans l’industrie.

«Nous allons soutenir les programmes et initiatives qui renforcent l’existence, la visibilité et la reconnaissance des créateurs afro-descendants et de leurs créations. Nous voulons faire en sorte de faciliter le plus possible l’accès, le financement et le soutien afin de permettre la création de contenu canadien afro-descendant de qualité», explique Joan Jenkinson, directrice générale du Bureau de l’écran pour la communauté noire.

Inspiré du Bureau de l’écran autochtone (BEA) fondé en 2017, le Bureau de l’écran pour la communauté noire jouera le rôle de porte-parole des cinéastes afro-descendants de l’ensemble du Canada auprès des diffuseurs et agences.

Selon la directrice générale, la réponse du public a été positive et inspirante jusqu’à maintenant, et les décideurs sont enthousiastes envers le travail de l’organisme.

«Nous n’avons pas eu de problèmes d’accès», dit-elle. «Les diffuseurs et les institutions nous ont dit être en train de procéder à des changements, alors nous continuerons à défendre notre position et à leur demander des comptes. Nous serons en discussion constante avec les responsables, assisterons aux réunions mensuelles et continuerons à prendre part à la conversation.»

Mais le Bureau de l’écran pour la communauté noire n’est pas simplement un intermédiaire entre les créateurs et les télédiffuseurs. L’ambition de l’organisation est de veiller à ce que les futurs créateurs afro-descendants et créateurs émergents, de même que ceux qui travaillent dans l’industrie depuis des années, sachent qu’ils ont un allié.

Damon D’Oliveira, directeur de l’organisme, a expliqué dans une entrevue accordée à Playbackonline.ca: «Nous avons commencé par faire des recherches et avons appris que 24 % des Canadiens sont des personnes autochtones ou de couleur…»

«Et nous avons pu constater qu’en 58 ans de diffusion télévisuelle au Canada, seulement cinq émissions commandées par un grand réseau avaient été dirigées par des créateurs afro-descendants.» 

Alors, qu’en est-il de la représentation à l’écran?

Faire correspondre talents et opportunités

«L’une des premières choses que fera le Bureau de l’écran pour la communauté noire, c’est de recueillir des statistiques d’audience fondées sur les données ethnoculturelles, car les données de cote d’écoute dont les diffuseurs disposent ne tiennent compte d’aucune façon des publics racisés», explique Joan Jenkinson.

«En fait, les données sur lesquelles se fondent les diffuseurs pour prendre leurs décisions sont basées en grande partie sur des populations blanches qui ont l’audimètre à la maison. Donc, en ce qui concerne les cotes d’écoute, nous sommes virtuellement invisibles.»

La collecte de données (comme nous l’avons appris à la page ##) est également importante pour savoir qui regarde les productions. Elle permet ainsi d’aider les scénaristes, réalisateurs et producteurs à créer leurs argumentaires pour les réseaux et les plateformes de diffusion en ligne.

Et pour les jeunes en particulier, une représentation manifeste est essentielle afin de les inspirer à croire que leurs rêves peuvent devenir réalité et que leurs histoires sont importantes.

Deanna Wong est la directrice générale du festival Reel Asian, qui a créé un programme de mentorat d’été en cinéma appelé Unsung Voices, dans le but de mettre en contact les cinéastes en début de carrière avec ceux qui ont produit des films diffusés au festival.

«Ça leur donne la chance de travailler leur idée de scénario du début à la fin, explique-t-elle. Ils apprennent la scénarisation, les techniques cinématographiques, la postproduction, bref tous les aspects de la création d’un film. Ensuite, ils travaillent à leur projet tout l’été, sous la supervision du coordonnateur du programme Unsung Voices et de divers mentors.»

Un des avantages de l’existence d’organisations dédiées à leur communauté particulière, c’est qu’elles comprennent les défis auxquels sont confrontés les cinéastes en raison des croyances et traditions propres à leur culture.

«Nous avons fait passer l’âge limite de 19 à 29 ans pour reconnaître le fait que le cinéma est une industrie où il est difficile de percer. Et aussi parce que, pour de nombreuses personnes d’origine asiatique, c’est une forme d’art que leurs parents n’encouragent pas à poursuivre comme carrière», affirme Deanna Wong.

«Les gens ont peut-être déjà commencé leurs études ou même leur carrière dans un autre domaine, mais ils ont l’idée qu’ils auraient toujours voulu faire un film. C’est gratuit, alors il n’y a aucune barrière.»

Le programme Être Noir.e au Canada, qui est la plus importante initiative de mentorat destinée aux réalisateurs afro-descendants du Canada, est similaire à Reel Asian, en ce qu’il s’emploie à mettre en valeur les talents d’un groupe racisé précis.

Ainsi, les membres de chaque communauté peuvent voir des histoires créées par des personnes ayant la même appartenance ethnoculturelle et auxquelles ils peuvent s’identifier, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans le cadre des festivals de films internationaux.

Fabienne Colas, actrice, militante et philanthrope, est fière des progrès accomplis par sa fondation éponyme dans le financement du programme Être Noir.e au Canada depuis sa fondation en 2012.

Dans la cohorte de 2019, 15 cinéastes afro-descendants émergents ont bénéficié de mentorat et de formation, explique-t-elle, pour la création de leurs premiers documentaires et courts-métrages. «Ils étaient accompagnés par des professionnels sur le terrain. À la fin, nous avons fait une tournée des Festivals internationaux du Film Black à Montréal, Toronto et Halifax… C’est un programme qui transforme des carrières.»

Le travail de la cohorte peut également être visionné sur telequebec.tv et CBC Gem.

La militante est enthousiaste et remplie d’espoir quant à l’avenir, surtout que des services de diffusion en ligne comme Netflix Canada fournissent maintenant de nouvelles opportunités qui n’existaient pas ou n’étaient pas offertes aux créateurs afro-descendants, autochtones ou racisés il y a à peine une décennie.

Pour elle, travailler avec Netflix était la réalisation d’un rêve. «Et nous voici maintenant en train de créer et de former la prochaine génération de réalisateurs afro-descendants.»

S’adapter ou disparaître 

Avec l’intérêt actuel des grands réseaux pour des projets de personnes issues de la diversité, il y a bon espoir que cet accès et cette attention s’étendra aux personnes afro-descendantes, autochtones et racisées, afin qu’elles puissent créer des histoires ici, elles aussi.

Mais pour que ça arrive, l’industrie a besoin de plus que d’un intérêt du public pour les récits de personnes issues de la diversité.

Dans un épisode du balado Now and Next du FMC, l’actrice et fondatrice du Reelworld Film Festival Tonya Williams, qui travaille sur les enjeux de la diversité depuis les années 1970, a expliqué ce qui était nécessaire à long terme:

«Nous avons beaucoup de scénaristes et de réalisateurs de la diversité ethnoculturelle qui deviennent producteurs, non par choix, mais par nécessité. Il nous faut donc former des producteurs qui peuvent guider les artistes et créer des relations avec les scénaristes, qui peuvent faire passer ces projets au niveau supérieur.»

«Nous savons que ça prend dix ans pour qu’un projet prenne son essor, nous avons donc besoin d’une année complète de travail avec des mentors. […] Ils doivent aborder tout le processus, avec des questions comme: comment présente-t-on ça à un diffuseur? Comment participer au processus de développement du projet?»

Après avoir cherché pendant des années un partenaire pour cette initiative, Reelworld a fait équipe avec Bell Média en septembre 2020 pour créer un programme de 12 mois visant à former une nouvelle génération de producteurs racisés.

Toujours dans le but d’en arriver à une plus grande représentation à l’écran, Tonya Williams a également piloté un programme de mentorat avec Meridian Artists, destiné aux personnes occupant des rôles périphériques: directeurs de la distribution, agents d’artiste et imprésarios.

«C’est presque embarrassant, l’infime représentation que nous avons dans ces domaines», affirme-t-elle. Appelé le Meridian Artists Apprenticeship Program, ce programme offrira une expérience pratique rémunérée de quatre semaines afin de permettre aux participants de se familiariser avec cette facette de l’industrie.

Pour que ces changements soient durables, Jesse Wente, directeur général du Bureau de l’écran autochtone et président du conseil d’administration du Conseil des arts du Canada, a ajouté que ces initiatives ont besoin de stabilité et d’un financement annuel permanent afin de soutenir les créateurs et les producteurs.

«Dans un monde où les récits uniques et visionnaires demeurent au cœur de notre secteur, nous devons reconnaître que les succès recherchés par le marché proviennent de plusieurs communautés diverses.»

Il fait observer que les grandes entreprises et les studios d’Hollywood ont abandonné cette notion, et commandent plutôt des œuvres en se fondant sur les algorithmes ou sur ce qui a bien marché par le passé.

«Nous avons vu un désinvestissement massif dans la propriété intellectuelle originale au cours des 20 dernières années, au grand détriment de l’ensemble du secteur, dit-il. La raison pour laquelle certains producteurs ont de la difficulté à rejoindre le public, c’est qu’ils tentent de faire à tout prix quelque chose qui ne fonctionne plus.»

Mais il ajoute qu’il «garde espoir dans les chiffres, qui montrent que le public s’est déjà transformé rapidement au cours des cinq dernières années et qu’il continuera inévitablement à le faire.»

«Si on pense qu’on peut continuer de produire le contenu qu’on a toujours produit, et de la manière dont on l’a toujours fait, pendant que notre public se transforme radicalement, c’est qu’on n’a pas appris de l’histoire», dit-il. «Le calcul est simple.»

Selon lui, la seule façon de créer des productions qui deviennent des phénomènes culturels comme la série I May Destroy You de HBO, c’est en finançant et en donnant les moyens nécessaires à des créateurs et créatrices comme Michaela Coel pour raconter leur histoire.

«Et on ne trouvera pas cette personne en marchant sur la route que l’on sillonne depuis 30 ans. On la trouvera en sortant des sentiers battus.»

Mettre en valeur et soutenir les voix qui émergent du Bureau de l’écran autochtone, du Bureau de l’écran de la communauté noire, de Reelworld, de Reel Asian ou du programme Être Noir.e au Canada est selon lui nécessaire à la réorientation de l’industrie. Si elle ne s’adapte pas aux nouveaux publics et ne s’engage pas auprès de la diversité pour offrir de nouvelles voix et perspectives, elle est vouée à l’obsolescence et perdra sa pertinence.

«Je crois fermement que ce sont les histoires qui ont transformé l’industrie, et ce sont les histoires qui la transformeront à nouveau, dit-il. La différence, ce sera qui racontera ces histoires. Toute la question est là.»

Approfondir le sujet

À lire: 

À écouter: 

4.3 - Finies les excuses

Ressources pour une industrie plus inclusive 

Pendant des années, différents intervenants ont fait pression pour voir plus de diversité dans la distribution et le personnel des productions de télévision et de cinéma du Canada. Et pendant des années, les gens de l’industrie se sont donné des excuses, en leur répondant «j’aimerais embaucher des talents issus de la diversité, mais je ne sais pas où les trouver».

Les excuses n’ont plus leur place en 2021. Voici une liste de différentes ressources et bases de données qui ont émergé au Canada au cours des derniers mois.

Le répertoire d’Access Reelworld permet de faire une recherche de talents issus des communautés afro-descendantes, autochtones, asiatiques de l’Est, sud-asiatiques, moyen-orientales et latino-américaines dans les industries créatives du Canada, par emplacement. Dans un épisode de la série balado Now and Next du FMC, Tonya William, actrice et fondatrice du Reelworld Film Festival, parle de la base de données et des raisons pour lesquelles elle s’est donné comme mission de braquer les projecteurs sur des talents de la diversité ethnoculturelle, à l’écran et derrière l’écran. «La collecte de données est le moteur de tout en fait, a-t-elle dit. Ç’a été l’éveil cette année… les gens comprennent maintenant.»

Offerte gratuitement aux membres du syndicat de l’Association des artistes canadiens de la télévision et de la radio (ACTRA), cette base de données en ligne permet aux agents, directeurs de la distribution et producteurs de trouver des professionnels issus de la diversité.

Film in Colour est un outil en ligne permettant aux utilisateurs de découvrir, d’embaucher et de collaborer avec des professionnels racisés de l’industrie du cinéma et de la télévision. Lancé en janvier 2020, cet outil a été créé initialement pour présenter les talents du Canada, mais a depuis pris de l’expansion pour inclure les équipes de tournage et autres professionnels de l’industrie de partout dans le monde. Il a été créé et fondé par le cinéaste canadien Pavan Moondi, qui dit avoir voulu passer à l’action après avoir observé une tendance, dans le discours des relations publiques, à s’approprier le terme diversité et à l’utiliser pour décrire la parité hommes-femmes, sans tenir compte des créateurs racisés. «Nous devons faire en sorte que ce soit vraiment facile pour les gens de contribuer à la cause, et très difficile de ne pas le faire, a expliqué Moondi à The Globe and Mail. Sinon, ils vont juste remettre toute action à plus tard, comme cela a été le cas au cours des dernières années.»

Répertoire de personnes autochtones, afro-descendantes et racisées ou «PANDC» travaillant dans l’industrie des écrans à titre de créatifs ou de membres de l’équipe de tournage, la base de données HireBIPOC est un portail Web dont la mission est «d’éradiquer le racisme systémique dans le paysage des médias canadiens». Ressource dont les partenaires fondateurs comprennent Bell Média, Radio-Canada, Corus Entertainment et Rogers Sports & Media, la base de données vise notamment à transformer l’attitude et les pratiques entourant l’embauche, à investir dans les communautés «PANDC» et à faire en sorte qu’un plus grand nombre de talents racisés soient recrutés.

Créée par le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN), cette ressource vise à mettre en relation des entreprises de production, des agences et des personnes avec des talents autochtones de l’industrie du cinéma et de la télévision au Canada. En créant un réseau pour les projets, entreprises et employés autochtones de l’industrie des écrans, cette ressource a pour but de «générer une liste reflétant de façon juste les talents et l’ampleur de notre expertise et de nos capacités».

4.4 - Le récit dans les médias interactifs: évolution des approches

4 D Innovativenarrative Julienposture
Credit: Julien Posture

L’art de la narration a maintenant pour seules limites les technologies disponibles, l’accès à un public ainsi que le talent et l’imagination des créateurs.

Alors que la frontière entre expériences linéaires et interactives s’estompe, les publics, auteurs et récits sont amenés à utiliser les médias de manière aussi originale qu’intéressante. Temps, argent et attention étant de plus en plus consacrés au virtuel, le numérique devient pour les narrateurs un espace de choix, d’où son importance décuplée. 

PAR ANNELISE LARSON

«L’espace numérique est tout aussi essentiel que n’importe quel autre espace ou service publics», avance Claris Cyarron, cofondatrice de Silverstring Media à Vancouver. «[Ce] flou entre le réel et l’irréel… présente une tonne de possibilités, mais aussi d’énormes défis.»

Le mouvement visant à combiner histoire, technologie et expérience a donné naissance à de nouvelles manières d’inviter le public à des parcours narratifs inédits.

Le public, moteur de l’industrie

Le succès d’une histoire et de son créateur passe par un public. «Idéalement, l’idée, c’est d’aller vers son auditoire plutôt que de lui demander de venir à soi», lance Steve Peters, concepteur de jeux vidéo à réalité intégrée (ARG)  de Los Angeles, qui travaille aussi dans le domaine des salles d’évasion.

Suivre les publics partout dans le monde virtuel a mené les créateurs et leurs histoires sur des territoires narratifs vraiment intéressants. «L’univers du jeu vidéo indépendant, c’est ce qui me captive le plus, surtout celui du jeu vidéo artistique», s’enthousiasme Lucas J.W. Johnson, cofondateur de Silverstring Media.

«[Ils] créent des œuvres interactives expérimentales vraiment intéressantes. Ils repoussent vraiment les limites du jeu vidéo, des médias interactifs, des médias tout court, et misent sur des histoires très personnelles [et] beaucoup sur les histoires queers.»

Ils permettent à leur public de décider, d’interpréter et de co-créer, comme le font les improvisateurs, et c’est aussi ce qui les distingue. «Les jeux les plus inspirants sont basés sur une histoire [qui permet au joueur] de prendre des décisions et de sentir que ses choix et sa façon de voir les choses ont de l’importance», affirme Tanya Kan, fondatrice de Vivid Foundry, une société torontoise de jeux vidéo.

Cette aventure dont le public dicte le cours permet aussi aux créateurs de naviguer entre le monde linéaire du cinéma et de la télévision et celui du récit plus immersif. «Dans l’interactif, précise Lucas Johnson, on ne raconte pas une histoire, mais on fait vivre une expérience

Nouvelles approches narratives

«L’histoire, c’est l’essence des médias linéaires», explique Brent Friedman, scénariste et concepteur narratif pour la télévision, le cinéma, les jeux vidéo, la réalité virtuelle (RV) et la réalité augmentée (RA) à Langley (Washington).

«Tout dans l’histoire, l’intrigue, les personnages, se rattache à cette essence. C’est ce qui nous motive. [On veut] se faire raconter une bonne histoire.»

«Dans un jeu vidéo, c’est l’expérience qui prime, et l’histoire n’est qu’une partie de cette expérience. La grande différence, c’est qu’il faut trouver le moyen de raconter une histoire qui enrichit l’expérience.»

L’un des éléments les plus distinctifs entre le récit linéaire et le récit interactif, c’est la façon dont le narrateur guide l’utilisateur, qui possède son propre regard et sa propre vision du monde, renchérit Claris Cyarron.

Dans le cas d’une expérience interactive, il faut donner au joueur un plus grand pouvoir d’agir, et le créateur doit, pour cela, se faire à l’idée de renoncer à un certain contrôle. «Dès que le [narrateur passe] la caméra à quelqu’un d’autre, tout est possible», lance-t-elle. «Impossible de savoir sur quoi l’œil s’attardera».

Le récit interactif permet, jusqu’à un certain point, la recherche de sensations fortes tant chez le joueur que chez le narrateur. Selon Tanya Kan, «tout le monde veut, au fond, des histoires qui contiennent plusieurs points de vue, [et] ce qui accroche les gens, ce sont les histoires et les personnages qui arrivent à humaniser leurs luttes intérieures ou leurs trajectoires émotionnelles.»

«Notre façon de vivre les histoires est appelée à évoluer», ajoute-elle. «L’appétit pour la nouveauté croît à mesure qu’on essaie des choses nouvelles. L’inattendu, voilà ce qu’offrent beaucoup de nouveaux formats narratifs. Même si l’histoire est classique, son déroulement, ainsi que mon rôle dans cette histoire et les gens avec qui je peux interagir [peuvent] encore surprendre.»

Jeux vidéo à réalité intégrée

Lancé récemment, Mesmer & Braid est un jeu vidéo à réalité intégrée qui a dépassé toutes les attentes pendant la pandémie. Il a généré 20 fois plus de réactions que prévu, ses contenus ont été vus 2,6 millions de fois et ont récolté plus de 250 000 mentions «J’aime» sur TikTok, Instagram et YouTube.

Ce type de jeu peut vivre de façon autonome, pour meubler le temps entre deux saisons ou deux épisodes télé, ou peut servir en amont d’un lancement de film ou de jeu vidéo (c’était le cas de Mesmer & Braid, créé comme antépisode du jeu HoloVista sur iPhone).

«Un jeu à réalité intégrée classique est une histoire qu’on fragmente en petits morceaux, et qu’on disperse sur internet. Les gens doivent ensuite chercher ces morceaux, trouver ce qui les relie pour finir par se raconter l’histoire les uns aux autres», explique Steve Peters. «Le public sent qu’il a un certain pouvoir sur l’histoire, et qu’elle lui appartient… c’est très collaboratif, ça crée un esprit de communauté… c’est une histoire qui n’a pas l’air d’être une histoire.»

Les jeux vidéo à saveur artistique ou littéraire tentent, eux aussi, d’atteindre cet équilibre dans la tension entre jeu et récit. Claris Cyarron a, par exemple, contribué à la création du jeu Where the Water Tastes Like Wine, véritable pièce d’anthologie et jeu d’aventure narratif portant sur les thèmes du voyage, du partage des histoires et de la survie dans une Amérique en pleine Grande Dépression.

«On a essayé d’exploiter à fond la liminalité, explique-t-elle, [pour] inviter le joueur [à devenir] un participant: son développement et sa quête personnelle sont au cœur du jeu…»

«Sur qui repose la responsabilité du jeu et de la médiation? Est-ce qu’on peut l’imposer au joueur? Et est-ce qu’on peut, en tant que narrateur et concepteur du jeu, se concentrer sur la création de manière à maîtriser cet espace?»

Pendant ce temps, Tanya Kan et son équipe planchent sur un roman visuel cyberpunk en 3D, plein d’émotions et aux fins multiples, intitulé Solace State. Et Glitchhikers, de Silverstring Media, est un jeu qui dépend fortement de la contribution du joueur, ce qui s’est avéré une exploration intéressante pour les développeurs.

Enfin, les formats de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée comportent leurs propres défis dès lors que le joueur se glisse dans la peau du personnage principal. «J’ai dû repenser complètement [le point de vue]», soutient Friedman.

«On dit en fait au joueur: “c’est toi le réalisateur, tu peux voir et vivre cette expérience comme tu le veux”.»

«Le joueur peut voir [les choses] sous un [angle] complètement différent, et qu’on ne contrôle pas, alors il faut penser à toutes les possibilités qu’on [lui] offre dans les moindres détails.»

Revenir au sens de la communauté

Les histoires présentent un moyen d’échapper à la réalité et à l’ennui, mais elles offrent surtout un moyen d’interagir avec les autres. C’est dans les conversations autour des récits, des personnages et des créateurs appréciés que Tanya Kan voit le fandom créatif s’épanouir.

«Les gens mettent tellement d’énergie et de génie personnel dans la création de contenus et dans le fan art», explique-t-elle. «Je trouve ça beau, le foisonnement de cette culture, même cette année, alors que beaucoup de gens dans le monde en arrachent.»

Pour Brent Friedman, les gens parlent de contenu parce qu’il y a moins de choses à faire pendant la pandémie; on se concentre sur la connectivité en ligne, dont on dépend davantage. «Je ne veux plus parler de la COVID-19. Alors, de quoi peut-on parler? Allez vivre une expérience multimédia [et] parlons de ça… [c’est quelque chose] qui peut stimuler les conversations.»

Les espaces numériques permettent la mise en commun d’expériences à un moment où on perd de plus en plus contact avec le monde réel, ce qui ouvre des possibilités pour les créateurs de talent qui savent innover.

«On vit un moment unique, [alors] faites ce qui vous passionne. Profitez-en, réalisez un projet passionnant, créez des choses captivantes, racontez les histoires que vous voulez raconter et expérimentez», lance Steve Peters.

«Ne cherchez pas à attirer un large public; parfois, une [expérience] intimiste, à petite échelle, c’est parfait. Et, offrir un exutoire aux gens est si gratifiant, si satisfaisant, que ça vous nourrira l’âme aussi.»

Approfondir le sujet

À lire: 

5 - Tableaux de bord

5.1 - Consommation médiatique au Canada

FMC RapportTendances Dashboards Web FR3 FMC RapportTendances Dashboards Web FR4 FMC RapportTendances Dashboards Web FR5 FMC RapportTendances Dashboards Web FR6 FMC RapportTendances Dashboards Web FR7 FMC RapportTendances Dashboards Web FR8 FMC RapportTendances Dashboards Web FR9 FMC RapportTendances Dashboards Web FR10

5.2 - Le marché canadien des médias

FMC RapportTendances Dashboards Web FR13 FMC RapportTendances Dashboards Web FR14 FMC RapportTendances Dashboards Web FR15 FMC RapportTendances Dashboards Web FR16

5.3 - Démographie du Canada

FMC RapportTendances Dashboards Web FR19 FMC RapportTendances Dashboards Web FR20 FMC RapportTendances Dashboards Web FR21

Remerciements

Équipe FMC Veille

Catherine Mathys – Directrice, veille stratégique

Sabrina Dubé-Morneau – Responsable, projets spéciaux, veille stratégique

Gaëlle Essoo – Rédactrice en chef, Futur et Médias, veille stratégique

Pierre Tanguay – Chef, recherche sur l’industrie, veille stratégique

Jessica Yang – Analyste, veille stratégique

CONTENU

Rédacteurs.trices

Kelly Lynne Ashton

Laura Beeston

Amber Dowling

Catherine Dulude

Joseph Elfassi

Green Spark Group (Zena Harris, Andrew Robinson, Jennifer Sandoval)

Marina Hannah

Rose Carine Henriquez

Carolyn Hinds

Rime El Jadidi

Maxime Johnson

Annelise Larson

Anita Li

Oumar Salifou

Éditrice principale

Laura Beeston

Éditrice

Maude Labelle

Traducteur et réviseur anglais

Dwain Richardson 

Traducteur.trices

Vicky Bernard

Dominic Brierre

Maude Labelle

Elizabeth Poitras

PRODUCTION

Productrice / Responsable de la rédaction

Catherine Denault

Comité consultatif

Kelly Lynne Ashton

Meagan Byrne

Alison Duke

Annelise Larson

VISUEL 

Directrice artistique

Daphnée Brisson-Cardin

Illustrateur.trices

Lin Luo

Niti Marcelle Mueth

Julien Posture

Nandita Ratan

Zoé Zénon

Photographes 

Rose Carine Henriquez

Marcus Oleniuk

 

Note sur la terminologie

L’équipe éditoriale a tenté au mieux de ses connaissances d’adopter un style de rédaction inclusif qui tient compte de la terminologie souhaitée par les personnes et les communautés concernées. La rédaction s’est basée, notamment, sur les résultats des consultations du FMC toujours en cours, menées auprès des groupes racisés pour identifier une terminologie souhaitée.